Connexion
Pour récupérer votre compte, veuillez saisir votre adresse email. Vous allez recevoir un email contenant une adresse pour récupérer votre compte.
Inscription
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation du site et de nous vendre votre âme pour un euro symbolique. Amusez vous, mais pliez vous à la charte.

Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
INTERVIEW

Dordogne : Longue entrevue avec Cédric Babouche

Buck Rogers & miniblob par Buck Rogers & miniblob,  email
En début d'année, Factornews a eu l’opportunité de s’entretenir avec le fondateur du studio Un Je Ne Sais Quoi en la personne de Cédric Babouche. C’était vers la fin de la production de leur jeu Dordogne qui va arriver ce 13 juin. Au départ, il était prévu qu’une partie de l’interview serve pour un article, mais certaines circonstances ayant changé, et l’échange ayant été particulièrement agréable, on vous la propose en version intégrale. Bonne rencontre avec ce Monsieur et sa belle sensibilité artistique.
Factor : Bonjour. Pour commencer, peux-tu nous parler un petit peu de ta formation, de ton parcours ?

Cédric Babouche : Bonjour. J'ai fait un bac, un bac L option art plastique à l'époque, donc ça remonte quand même à un certain temps... une trentaine d’années maintenant, la vache ! Après j'ai fait une des quatre écoles d'arts appliqués publiques de Paris : il y a Boulle, Duperré, Estienne et moi j'ai fait Olivier de Serres. J'ai fait un diplôme qui n'a rien à voir avec ce que je fais maintenant, même si ça m'a beaucoup aidé : un diplôme des métiers d'arts en sculpture appliquée. Donc après j'ai travaillé en fonderie d’art à l'élaboration et à la création de sculptures en bronze au sein d'une des dernières fonderies parisiennes, la fonderie Chapon. J'ai fait ça pendant deux ans je dirais, de mes 21 à 23 ans, et puis j'en ai eu marre.

Après un premier de l'an bien arrosé, ma sœur a remarqué que j’étais malheureux et elle m'a dit : "mais que veux-tu vraiment faire dans la vie ?" et je lui ai répondu : "de la BD, du dessin animé". Alors elle m’a aidé à chercher des écoles qui pouvaient m’amener à faire un peu tout ça, et on a trouvé l'école Émile Cohl, à Lyon. J'ai donc repris mes études à 24 ans et j'en suis sorti à 27 ans diplômé. C'est comme ça que j'ai commencé à travailler dans l'animation.


Ton premier film d'animation c'était ton travail de fin d'études, La routine, et le deuxième Imago. D'ailleurs ce dernier a été sélectionné et primé dans plus de 130 festivals. Peut-on considérer ces deux courts métrages comme le point d'entrée de ton univers graphique et poétique ?

Oui et c'est marrant parce que j'ai rediscuté récemment avec des copains et des copines de Promo que je n'avais pas vus quasiment depuis l'école, qui ont vu ce que je faisais maintenant par hasard et qui se sont dits : "On dirait du Cédric". En fait, il y a des choses, comme certaines orientations graphiques et narratives que j'avais déjà quand j'étais étudiant. Vu que j'avais déjà travaillé avant mes études d'animation, j’étais déjà dans un processus professionnel où je voyais à peu près où je voulais aller donc c'est vrai que La routine, m’a permis de me confronter à la création d’un premier court-metrage, quelque chose que je n'avais jamais fait avant. En plus sur La routine, j'ai fait vraiment tout, tout seul, et c’était aussi du mélange de 2D et de 3D. Donc j'ai fait l'animation, j'ai fait la 3D, j'ai tout fait et ça m’a permis d'avoir une vision transversale de ce que c’était que faire un film. C'est toujours à peu près la même chose maintenant, mais avec quelques évolutions depuis.

« dans La routine, tout était en numérique alors que dans Imago j'utilisais déjà le procédé que j'utilise toujours dans Dordogne, qui est de l'aquarelle peinte à la main sur papier, retravaillé numériquement et mélangé avec de la 3D »


Après j'ai rencontré un producteur qui s'appelle Ron Dyens, qui travaille toujours sur des films très connus. Il a travaillé sur des films comme Tout en haut du monde, des longs métrages d'animation comme L'Extraordinaire Voyage de Marona. C'est un producteur d'animation et je peux dire très humblement qu'il s'est lancé dans l'animation après son premier gros succès, et ça a été Imago parce qu’il avait acheté mon film de fin d'études de l'École Émile Cohl. On l'a retravaillé un peu pour que ça voyage en festival et après il m'a demandé : "Est-ce que tu veux faire un deuxième court métrage ?". Je lui ai répondu : "Bah banco" et c'est comme ça qu'on s'est lancés dans Imago, qui était déjà une évolution un peu plus poussée de mon travail. Parce que dans La routine, tout était en numérique, alors que dans Imago j'utilisais déjà le procédé que j'utilise toujours dans Dordogne, qui est de l'aquarelle peinte à la main sur papier, retravaillé numériquement et mélangé avec de la 3D.


Et du coup tu as bossé pendant combien de temps comme ça dans l'animation ?

En fait, je n'ai pas arrêté, je travaille toujours dans l'animation, mais réellement à ne faire que du dessin animé ou de la bande dessinée, ça a duré 17 ans. En tant que directeur artistique d'abord dans un studio d'animation d'effets spéciaux qui s'appelait, parce qu'il n'existe plus, Def2shoot. J'étais responsable du département animation comprenant une quarantaine ou une cinquantaine de personnes avec lesquelles on a travaillé sur des séries comme Bravo Gudule pour France 5, Peur(s) du noir le long métrage et plein de projets en effet spéciaux. Il y avait aussi La Môme, entre autres. Je n’ai pas travaillé dessus, mais mon équipe d'animation a travaillé dessus.

« ça m’a permis d'apprendre auprès du meilleur. Parce que Rintarō, il doit avoir 80 ans maintenant donc il contemple toute la création de l'animation depuis son début et j'ai appris à son contact »


Et après, j'ai rencontré Rintarō, le réalisateur japonais, avec qui j'ai travaillé pendant deux ans et demi sur son long métrage : Yona, la légende de l'oiseau-sans-aile. Ça a été le gros tournant de ma carrière parce que j'étais encore assez jeune et ça ne faisait que quatre ans que je travaillais dans l'animation. Je me suis retrouvé à chapeauter une équipe de plus de 80 personnes sur un film qui était réalisé donc par Rintarō, en coproduction entre la France, le Japon et la Thaïlande, et moi j'étais en charge de réaliser 45 minutes du film sur 80. Donc c'est là où vraiment j'ai beaucoup appris, parce que vu que Imago avait été à Cannes, avait été shortlisté aux Oscars, j'avais, à ma mesure, je pense, à l'époque pris un peu le melon. Je pensais que j'étais prêt à m'engager dans des gros gros projets, et quand je me suis retrouvé sur le film de Rintarō, je me suis rendu compte à quel point j'étais pas prêt. Mais du coup, ça m’a permis d'apprendre auprès du meilleur. Parce que Rintarō, il doit avoir 80 ans maintenant donc il contemple toute la création de l'animation depuis son début et donc j'ai beaucoup appris à son contact. Je suis devenu son padawan, on va dire pendant 2 ans et demi.



C’est ce qui m'a permis après de monter ma société, une société qui existe toujours, qui s'appelle Dandelooo. J'étais un des associés fondateurs et on a travaillé sur différentes séries et pour M6. Moi, j'ai réalisé un film pour France Télévision qui s'appelle Little Houdini. Puis il y a cinq ans, on est arrivé au bout du chemin qu'on pouvait faire ensemble, après une dizaine d'années de travail en commun. C'est là que j'ai monté Un Je Ne Sais Quoi. Mais entre-temps, j'avais continué de travailler en indépendant pour d'autres studios.

J'ai travaillé pour Illumination Mac Guff. J'ai fait ce qu'on appelle du Visual Development, pour travailler en amont sur des projets pour poser et réfléchir aux bases de ce que pourraient être les univers graphiques de différents films ou séries. Et ça j'en ai fait beaucoup, en parallèle même de ma société, je travaillais pour d'autres. Je l'ai fait encore jusqu’à l'année dernière parce que je travaillais pour des sociétés comme Blue Spirit ou Tu Nous ZA Pas Vus, qui sont quand même de grosses sociétés d'animation, pour du développement sur du long métrage ou de la réalisation. Mais finalement, j'ai mis ça de côté parce que Dordogne me prenait trop de temps.
Au départ j'ai monté Un Je Ne Sais Quoi pour un autre projet de jeu qu'on va faire après Dordogne maintenant. Quand je dis qu’on n'a pas arrêté l'animation, c'est qu'en fait, Dordogne, c'est certes un jeu mais ça fait partie d'un projet transmédia. Un projet dans lequel d'autres médias vont être travaillés après. Quand Dordogne sera fini à la fin du mois (NDLR: l’interview date du 9 janvier 2023), on va passer sur le court métrage qui est le préquel du jeu. Et je continuerai aussi à être réalisateur et DA (directeur artistique) dans l'animation.


Pour toi, il y a une espèce de passerelle justement entre l'animation et les jeux vidéo ? On a vu des développeurs qui ont fait le passage de l'un à l'autre. On pense à des jeux comme Ghost of a Tale ou Kena: Bridge of Spirits. Du coup pour toi, il y a une certaine logique à passer de l'un à l'autre, une porosité entre les deux univers ?

La porosité est clairement existante parce qu’il y a des processus similaires de création, de développement en amont. J'utilise le mot développement avec parcimonie parce que dans le jeu vidéo, le développement ce sont les gens qui codent, et le développement dans l'animation, c'est la création graphique, l'écriture du scénario. Donc il y a en fait, ce qui est assez rigolo, beaucoup de choses communes mais qui n'ont pas les mêmes noms.
La très grosse différence, c'est l'interaction. C'est la chose à laquelle j'ai eu le plus de mal à m'adapter, moi, en tant que créateur de contenu linéaire, c'est-à-dire un contenu concret qu'on donne à nourrir, on va dire, aux spectateurs. Excusez-moi de la métaphore, mais c'est un peu ça. Quand on regarde une série, on ne fait que la regarder, on n’interagit pas avec et donc c'est quelque chose qu’on accepte de subir, alors que le jeu vidéo, on accepte de le subir, mais en même temps on intervient dessus.

« même si j'avais prévu que le personnage aille dans cet endroit-là, lors des premiers playtests, j'allais découvrir que les joueurs allaient ailleurs parce que par défaut quand on leur dit que  c’est par là que ça se passe, ils vont de l'autre côté forcément »


Donc la grosse différence a été d'accepter que ce que je pouvais imaginer comme histoire risquait d'être, comment dire, pas déformé mais pris à bras-le-corps par les personnes qui allaient jouer au jeu. Se dire que même si j'avais prévu que le personnage aille dans cet endroit-là, lors des premiers playtests, j'allais découvrir que les joueurs allaient ailleurs parce que par défaut quand on leur dit que c’est par là que ça se passe, ils vont de l'autre côté forcément. Étant joueur moi-même, c’est ce que je fais aussi. Mais clairement, je trouve qu’il y a beaucoup plus de ponts entre ces deux médias qu’on ne peut l’imaginer, tout du moins ce que chacune de ces industries n'imaginent, et c'est un peu tout l'objectif de notre boîte.
En fait, on veut vraiment montrer que dans le moteur de jeu, on pourrait y faire intégralement un film. Ce que l’on ne fait pas encore. On commence à y arriver comme par exemple dans la série The Mandalorian où ils ont utilisé l’Unreal Engine pour faire tous les effets spéciaux et une partie des décors. Pour nous l'objectif après Dordogne, c’est un projet de jeu qui s'appelle Monsieur Tic Toc & la Cité de la Vallée Sans Fin, qui était le projet de jeu que j'avais imaginé avant. Pour celui-là, il va avoir un long métrage qu'on va essayer de développer en parallèle du jeu, mais en essayant de n'utiliser que le moteur Unity pour faire le jeu et le film. Ca demande un gros travail de développement technique, de pipeline et tout, mais l'idée c'est ça en fait, c'est de se dire : "pourquoi produire deux fois les choses ?"

C'est ce que font actuellement les deux industries. Par exemple, je vais dire n'importe quoi, The Last of Us, ça devient une série live, mais si ça devenait une série animée, ils referaient tout de zéro. Alors qu’on pourrait réfléchir à un modèle où tout ce qui a été créé pour le jeu pourrait servir pour la série. Et inversement, tout ce qui a été créé pour la série pourrait servir pour le jeu. Et ça, ça demande une gymnastique que tout le monde n’est pas encore prêt à faire, parce que tout le monde se dit : "oui mais les personnages de jeux vidéo n’ont pas une assez bonne définition".
Ce qui est faux, il y a plein de choses qu'on peut faire en très très haute qualité maintenant dans les jeux. Tu parlais de Kena: Bridge of Spirits tout à l'heure, les cinématiques de Kena sont très très proches du rendu final du jeu. Et on peut citer plein d'autres jeux dans cet esprit-là. C'est juste qu’effectivement, dès qu'on passe au temps réel, il y a beaucoup d'outils qui ne nous permettent pas encore totalement d'obtenir la finesse du long métrage. Mais si on est malin dans la direction artistique, on peut arriver à quelque chose de proche.


Tu nous as parlé d'animation mais en 2014 et 2016 tu as aussi été le dessinateur des deux tomes de la bande dessinée Le Chant du cygne, réalisée avec Xavier Dorison et Emmanuel Herzet. Il y a toujours ce lien créatif mais qu’as-tu retiré de cette aventure ? Ça fait penser un peu à du Tardi.

C'est marrant que tu parles de Tardi, parce que quand Le Chant du cygne est sorti, il y a eu beaucoup de gens qui ont dit "Tout le monde n'est pas Tardi" parce que j'ai un style qui est assez japonisant, très clairement influencé par le Studio Ghibli et d'autres mangakas. En gros certaines critiques qui pourtant était globalement très bonnes, disaient "la Première Guerre mondiale, c'est un peu la chasse gardée de Tardi". Donc ce que j'avais fait, c'était un peu hors chasse gardée on va dire. Mais bon, je l'ai pris du bon côté, ça voulait dire que ça avait surpris.

Après, de la BD, j'ai retiré beaucoup de bonnes choses. Encore une fois, j'ai créé un pont avec l'animation. J’ai utilisé certains processus créatifs utilisés en animation pour gagner du temps pour faire la BD. Il faut savoir qu'à l'époque, je réalisais aussi le film Little Houdini, donc je séparais ma semaine en trois jours d'animation, deux jours de BD. Ce que ce que j'ai appris, c'est qu'autant j'ai pris du plaisir à travailler dans un processus assez solitaire comme la BD et autant j'étais très content de faire trois jours/deux jours parce que ça me permettait de très vite revenir en équipe. Ce que j'ai appris aussi et qui reste toujours la plus grosse surprise pour moi, et ça concerne un peu tous mes projets même depuis Imago, c'est que à chaque fois que je montre mes projets et qu'il y a de l'aquarelle, que c'est fait à la main, le public ressent une espèce d'affect naturel. Et il y a toujours aussi une espèce de phénomène de surprise, comme si c'était très moderne. Alors qu'en fait l’aquarelle, c'est un des médiums les plus vieux du monde. Ca a des siècles l'aquarelle. Mais de ramener ce médium dans des expressions visuelles et narratives un peu différentes, comme le jeu vidéo ou l'animation, en le mélangeant avec de la 3D, les gens se disent, "Mais qu'est-ce que c'est ce truc ?", alors que moi ça me fait beaucoup sourire, parce que c'est vieux comme le monde. En tous cas, ça continue à me conforter dans l'idée que la piste que je défends depuis le début de ma carrière en animation est la bonne. Ça ne veut pas dire que je vais faire ça tout le temps, mais c'est une signature que je suis content de défendre.

Rechercher sur Factornews