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Hellblade : Senua's Sacrifice, Asgard malade

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Ninja Theory
Supports : PC / PS4
Soyons honnêtes : il n'était pas prévu qu'on écrive quoi que ce soit sur Hellblade : Senua's Sacrifice. Pas tellement parce que le jeu est sorti au mois d'août (plusieurs mois de retard, ce n'est pas vraiment le genre de truc qui nous freine habituellement), mais parce qu'on ne voyait pas bien ce qu'on pouvait dire de plus que les autres. Ninja Theory a abondamment communiqué sur son jeu pendant le développement, et la presse en a largement couvert la sortie, accompagnant le succès surprise d'un projet certes ambitieux mais surtout casse-gueule. Et puis on y a joué, et écrire une bafouille nous a semblé indispensable.
Senua est une jeune guerrière celte (picte, pour être précis) dont le fiancé, Dillion, a été sauvagement sacrifié aux dieux nordiques lorsque des vikings ont pillé leur village. Déjà légèrement psychotique, cette découverte macabre la fait basculer. Elle entend désormais des voix qui l'encouragent à tenter l'impossible : à en croire le folklore nordique, Dillion peut encore être sauvé, à condition d'aller négocier avec Hela, la déesse nordique à qui il a été sacrifié. Senua emballe donc le crâne de son fiancé, le pend à sa ceinture et suit les instructions pour se rendre à Hel, l'équivalent des Enfers dans la mythologie nordique, et tenter d'y progresser jusqu'à Hela sans perdre ni la vie ni la raison, ou ce qu'il en reste.

Orphée aux amphets

Il est évident à la lecture du pitch qu'Hellblade utilise le deuil pour jouer, comme beaucoup d'oeuvres avant lui, sur l'incertitude et la frontière floue entre raison et folie. Senua est-elle définitivement perdue dans les limbes de sa psychose, ou bien a-t-elle réllement atteint Hel et se bat-elle contre de vrais dieux ? Ou un peu des deux ? Son fiancé peut-il vraiment lui être rendu ? La question n'est pas vraiment là, et même si le jeu propose une fin assez claire (appuyée par le documentaire fourni avec le jeu ou les nombreux making of sur Youtube), il reste possible d'y projeter ses propres interprétations, de la plus premier degré à la plus symboliste. L'objectif de Ninja Theory était ailleurs : représenter dans un jeu les différentes formes que peuvent prendre les psychoses, et ce de façon réaliste. Ce pourquoi ils se sont appuyés sur des consultants spécialisés (psychologues, psychiatres, neurologues, soignants...) ainsi que sur des psychotiques qui ont décrit ce qu'ils vivaient et en ont validé les représentations en jeu. Ainsi, le propos d'Hellblade est que si d'un point de vue extérieur on peut s'interroger sur la réalité de ce qu'on voit, pour Senua tout ceci existe bel et bien : c'est sa réalité, et c'est tout ce qui compte.



Forcément, pour réussir à retranscrire la réalité d'une psychose, un soin tout particulier a été apporté à la réalisation et à la narration. Hellblade s'appuie évidemment sur les possibilités des moteurs modernes pour créer les effets visuels correspondants : flou, filtres, morcellement, luminosité, distorsion, etc. Mais c'est surtout le sound design qui frappe, et on vous conseille très vivement de jouer au casque : enregistrés avec des micros 360°, les acteurs et actrices qui jouent les voix dans la tête de Senua donnent l'impression d'être dans la même pièce que le joueur, pour ne pas dire sous son propre crâne, d'autant plus qu'elles commentent presque tout ce qui se passe à l'écran et donnent des indications au joueur. Cela rend parfois le jeu très bavard, mais c'est la conséquence directe d'une psychose : l'esprit qui n'est jamais relâché, la sensation d'être encerclé de toute part, l'épuisement que cela génère. Et troisième couche du gâteau : l'acting est incroyable. Alors qu'elle ne faisait que dépanner au début pour les essais de performance capture, la monteuse vidéo de Ninja Theory, Melina Juergens, s'est rapidement imposée dans le rôle de Senua. Toujours sur le fil du rasoir, elle se donne à fond sans jamais basculer dans le ridicule ou sonner faux. C'est même très perturbant de la voir "en vrai" ensuite, en photos ou en interviews, tant on associe son visage à celui de Senua. Difficile de dire si elle persistera dans la carrière d'actrice, mais c'est déjà très probablement le rôle de sa vie.



Donc, Hellblade a une personnalité forte et réussit à retranscrire efficacement ce qu'est une psychose aux joueurs. Fort bien. Mais si cela suffisait à en faire un bon jeu, ce texte s'arrêterait là. Revenons donc vers des considérations bassement matérielles. Notez déjà que la version PC, pointée du doigt pour ses problèmes techniques, a été corrigée efficacement depuis et il ne subsiste plus guère que quelques chutes de framerate sans conséquences. Plus globalement, sans être techniquement fou et usant d'artifices parfois un peu trop visibles (les zones de jeu sont restreintes et linéaires pour limiter le nombre d'éléments à afficher, par exemple), le jeu offre souvent des panoramas réussis et des décors intéressants, et mélange tout ça avec de la performance capture sans jamais basculer dans l'uncanny valley, ce qui est à saluer. Et si les animations manquent de variété, elles restent de bonne facture. 

Tonight Odin in hell

Malheureusement, le gameplay n'est pas à l'avenant. Concrètement, Senua progresse dans Hel via deux mécaniques : de l'exploration/puzzle, et des combats. Les puzzles reposent presque tous sur le même principe : une porte bloque l'entrée à la zone suivante et il faut retrouver des runes cachées dans le décor pour l'ouvrir. Deux arbres qui vont tracer une croix, des feux qui vont dessiner des ombres sur un mur, des éléments de décors vus sous un angle particulier…L'idée repose sur le fait que certains psychotiques tissent constamment des liens entre les éléments qu'ils perçoivent, comme si le monde qui les entoure contenait des énigmes cachées qu'ils devaient résoudre. C'est certes réaliste mais malheureusement raté : la manière de résoudre ces puzzles ne variera que très peu au cours de l'aventure, et un level design assez sommaire rend tout ça aussi facile que fastidieux. Les seuls chemins alternatifs qu'on trouve dans le jeu mènent à des stèles runiques qui racontent une partie de la mythologie nordique.



Quant aux combats… Ninja Theory avait frappé l'esprit des amateurs de beat them up avec leur reboot nerveux de Devil May Cry. Il va falloir oublier ça : Senua est certes une guerrière, mais les combats qu'elle mène sont mous et répétitifs. Il n'y a pas beaucoup de possibilités : une attaque rapide, une attaque forte, une esquive et une parade. A cela s'ajoute le miroir, un item qui permet de ralentir le temps et se recharge progressivement (notamment lorsqu'on réussit une parade parfaite). Et c'est tout. Ce qui aurait paradoxalement pu être suffisant pour tenir en haleine le joueur, notamment parce qu'on ressent bien les impacts, mais à condition de varier les ennemis et les terrains de jeu. Or, durant les 8 petites heures que durent l'aventure, ce seront toujours les mêmes adversaires, avec les mêmes patterns. La difficulté est certes au rendez-vous, mais elle est artificielle : il s'agira souvent de vous enfermer dans une pièce étroite et de vous encercler avec plusieurs ennemis pour vous empêcher de bourriner et vous forcer à esquiver, et de vous spammer avec plusieurs vagues d'ennemis successives. Résultat, les combats se ressemblent tous et sont effroyablement fastidieux. Et les combats contre les boss ne relèvent pas le niveau : leurs patterns n'ont rien de surprenant ou d'original, il s'agit simplement de monstres classiques mais avec plus de PV et plus de force.



Notons tout de même que pour varier un peu le gameplay, Hellblade contient plusieurs phases de jeu qui ne comportent ni combats ni puzzles, ou très peu. Il y a par exemple tout un niveau où l'on doit avancer à tâtons dans le noir, une zone où il faut de la lumière pour se protéger d'un monstre qui nous poursuit, une séquence de course-poursuite particulièrement stressante, etc. Même si cela fonctionne parfois très bien, on ne peut s'empêcher de regretter, une fois le jeu fini, qu'il n'y ait pas eu plus d'interactions efficaces entre gameplay et représentation de la psychose, en dehors du système de permadeath progressive (plus on meurt et plus on se rapproche du game over définitif) et des voix qui préviennent lorsqu'un ennemi hors de notre champ de vision est sur le point d'attaquer. Les puzzles restent des puzzles, les combats des combats, les niveaux des niveaux, et trop souvent Hellblade reste désespérément un jeu classique là où il nous fait miroiter quelque chose de plus fusionnel, de plus expérimental dans son gameplay. C'est d'autant plus frustrant que le combat final contient une idée de gameplay toute simple mais totalement raccord avec le propos du jeu, ce qui en fait un passage extrêmement marquant émotionnellement. 
 
Jusqu'à quel point peut-on pardonner à un jeu ses errements de gameplay quand tout le reste de ce qu'il propose nous fait hurler au chef d’œuvre ? Certes, Hellblade propose des combats répétitifs et des puzzles peu inspirés qui vous feront poser la manette plus d'une fois. Mais c'est également un jeu au propos, à l'esthétique, à la narration, au sound design, au jeu d'acteur et à la mise en scène absolument incroyables. Ceux qui s'accrocheront à tout ça oublieront sans problème le reste et risquent de prendre une petite baffe, les autres n'auront probablement pas la patience d'aller jusqu'au bout.

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