ACTU
[Prise chaude] Le procès du moment
En ce moment et pour quelques jours se tient le procès tant attendu des ex-employés haut placés d'Ubisoft, accusés de harcèlement moral et sexuel, voire de tentative d'agression sexuelle pour l'un des trois accusés. La grosse affaire de 2020, mise en lumière par Libération, va enfin pouvoir se terminer, ou presque.
D'abord, un récapitulatif de l'historique de cette affaire. En juillet 2020, Libération publiait une enquête mise en une à propos d'une culture de l'humiliation et du harcèlement au sein de la direction créative du géant français. Le service édito est particulièrement visé, même si on se rendra compte au fil des enquêtes qu'à peu près toutes les strates de la direction de plusieurs studios sont... problématiques, dirons-nous.
Ainsi, ce fameux département édito est en charge de la direction créative et technique d'Ubisoft et, depuis de nombreuses années (comptez facilement quinze ans), les dirigeants de ce service, qui sont donc parmi les employés les plus haut gradés de l'entreprise, se seraient régalés avec la domination qu'implique leur statut hiérarchique. Certains, ayant quitté leurs fonction depuis assez longtemps, ont pu avoir la chance de voir ce qui leur était reproché être prescrit, tandis que d'autres, restés jusqu'à être poussés vers la sortie lors de la mise au jour de leurs pratiques, ont droit à leur petit procès.
Grande absente du procès : la direction d'Ubisoft. Ici, seulement trois anciens employés, dont le numéro 2 de l'entreprise, sont jugés pour harcèlement. La complicité supposée des RH et d'autres personnes plus haut placées que le numéro 2 n'est donc pas évoquée, même si on pourrait potentiellement et peut-être hypothétiquement (évitons le procès inutile) se douter que certaines choses se savaient.
Mais quelles sont ces choses, me demanderez-vous, vous qui n'étiez peut-être même pas nés en 2020, cette époque totalement différente d'aujourd'hui ? Préparez votre bouclier à dingueries, parce qu'on est parti dans les abysses de la folie !
Déjà, d'autres personnes bien meilleures et plus informées que nous suivent ce petit événement. Libération (article payant), bien sûr, mais aussi leurs copains comme Le Monde (article payant) ou France Info (article gratuit, merci le service public !). D'ailleurs, la journaliste auteure de ce dernier article, qui assiste au procès, tient des résumés de ce qu'il s'y passe, sur son compte Bluesky, avec un fil par jour. Voilà le premier jour et le second. Le troisième jour a déjà commencé !
Ça nous parle donc de demander à une assistante d'aller chercher les enfants du directeur créatif à l'école ou de gérer la succession de sa femme. Entre critiques permanentes et insultes, on a le droit à des réflexions libidineuses, de la violence physique ou des crises de colère pleines d'insultes.
Mais ça va, parce qu'un prévenu a un ami juif, il ne peut donc pas être raciste.
Bon, je suis un peu salé mais l'honnêteté me pousse à dire que je peux comprendre certains faits car, surprise, il ne s'agit pas de cas isolés dans le vide, sortis de nulle part. En effet, la toxicité s'est, après les premières révélations, avérée être présente dans plusieurs directions de différents studios Ubisoft et, encore surprise, même ailleurs. Ces dernières années, nous avons pu voir défiler les histoires d'horreur et si Ubisoft et Blizzard étaient bien mis en avant, la liste ne s'arrêtait clairement pas là.
En effet, il s'agit bien d'un problème systémique. Je suis moi aussi un homme blanc qui évolue dans la tech et je suis tout à fait touché par ce système de boy's club tant évoqué. En effet, la plupart des gens du milieu sont des hommes et la culture commune qui s'en dégage est donc très masculine, depuis les études et transférée dans le milieu professionnel. Ainsi, la masculinité, une certaine objectification des femmes (voire complète misogynie, soyons fous) et la provocation dominent. C'est rigolo d'insulter les copains et de leur faire des blagues racistes.
Cependant, les gens ciblés par les blagues racistes et sexistes peuvent trouver ça moins rigolo, parce que ça contribue, au minimum, à normaliser et perpétuer les discriminations réelles qui les touchent parfois au quotidien. Même si c'est sur le ton de la blague, ça peut continuer à faire vivre différents clichés néfastes.
Ensuite, la domination qui découle des liens hiérarchiques complexifie encore plus les relations. C'est une chose d'insulter son copain qui se marre, c'en est une autre d'insulter son subalterne qui doit décider, consciemment ou pas, s'il doit se marrer ou prendre le risque de vexer son chef, ce qui pourrait avoir des répercussions sur sa vie professionnelle, celle-ci étant indispensable à sa survie matérielle.
Souvent, donc, les petits plaisantins provocateurs et plein d'assurance se retrouvent propulsés à des postes de chefs et ils ne sont probablement pas assez formés, ou hermétiques à la critique, et ils deviennent des terreurs qui harcèlent leurs collègues, tout en pensant être quand-même très marrants. Bien sûr, certains collègues, baignant eux-aussi dans ce jus depuis le début, sont très réceptifs et trouvent tout ça super. Ils ont un chef rigolo avec qui ils peuvent faire des blagues salaces et racistes bien drôles, et tout le monde s'amuse. Ces derniers normalisent donc le comportement des brutes, qui deviennent encore plus difficiles à affronter puisque si "tout le monde" trouve ça normal, que pourrions-nous y faire seules, harcelées et à la limite du burn out permanent ?
En bonus, il y a aussi les dictateurs classiques, qui laissent aller leurs colères en plein fantasme de pouvoir, ne pouvant être contredits par des collègues plus bas sur l'échelle hiérarchique. Normalement, dans tous ces cas-là, on pourrait se dire qu'il doit y avoir une autorité quelconque pour les calmer. La première qui nous vient en tête est probablement le service des Ressources Humaines.
Seulement, rappelez-vous que les RH dépendent de la direction et que leur but est plus de contenir les problèmes que de les régler. Il n’est pas très étonnant que dans l’immense majorité de ces affaires, pour ne pas dire toutes, les RH ne sont citées que comme complices, voire facilitatrices. Entre un employé, ou même une poignée, qui se plaint et un haut placé dans l’entreprise, le choix de qui virer est souvent vite fait, rarement à l’avantage du subalterne. Si jamais le responsable est vraiment trop balancé par ses collègues, il suffira de le déplacer à un autre poste, pour qu’il terrorise d’autres gens, ailleurs. Eh oui, pas que dans le domaine du jeu vidéo.
Donc, ce procès ne corrigera pas les problèmes de fond mais il pourra peut-être nous apporter un réconfort cathartique à voir des brutes s’en prendre plein la tronche. Il ne faut surtout pas oublier que le combat pour que les choses changent se mène au quotidien.
Lors des auditions, nous apprenons que Tommy François, vice-président de l’édito, était payé entre 80 000 euros annuels brut (au début) et 120 000 euros, soit 10 000 euros bruts mensuels. Pas mal, mais attendez, il y a mieux.
Serge Hascoët, numéro 2 d’Ubisoft et directeur créatif, dont le travail était de faire rentrer les propositions de ses créatif dans le moule fade qu’est l’Open World Ubisoft et d’avoir le dernier mot sur toutes les décisions créatives et qui, bien sûr, avait un comportement digne des pires managers de l’histoire, était rémunéré à hauteur de… 52 000 euros mensuels… net. Cinquante-deux mille euros net par mois. Soit environ 67 000 euros mensuels brut, soit 804 000 euros annuels brut.
Ce salaire mensuel est à peu près le double du salaire annuel d’un développeur avec dix ans d’expérience. Même si ça ne représente qu’une heure de Bernard Arnault, deux Hascoët suffiraient probablement à financer Clair Obscur: Expedition 33, qui a fait sensation dernièrement.
Si je travaillais chez Ubisoft, je me précipiterais vers le syndicat le plus proche pour lui faire organiser une grève et exiger que l’entreprise ne permette pas d’avoir une différence de salaire supérieure avec un rapport du simple au triple. On parle de presque 42 SMIC pour un tyran qui n’a de comptes à rendre à personne, à part peut-être au numéro 1 qui a probablement intérêt à nier sa responsabilité.
Quelle époque formidable.
D'abord, un récapitulatif de l'historique de cette affaire. En juillet 2020, Libération publiait une enquête mise en une à propos d'une culture de l'humiliation et du harcèlement au sein de la direction créative du géant français. Le service édito est particulièrement visé, même si on se rendra compte au fil des enquêtes qu'à peu près toutes les strates de la direction de plusieurs studios sont... problématiques, dirons-nous.
Ainsi, ce fameux département édito est en charge de la direction créative et technique d'Ubisoft et, depuis de nombreuses années (comptez facilement quinze ans), les dirigeants de ce service, qui sont donc parmi les employés les plus haut gradés de l'entreprise, se seraient régalés avec la domination qu'implique leur statut hiérarchique. Certains, ayant quitté leurs fonction depuis assez longtemps, ont pu avoir la chance de voir ce qui leur était reproché être prescrit, tandis que d'autres, restés jusqu'à être poussés vers la sortie lors de la mise au jour de leurs pratiques, ont droit à leur petit procès.
Grande absente du procès : la direction d'Ubisoft. Ici, seulement trois anciens employés, dont le numéro 2 de l'entreprise, sont jugés pour harcèlement. La complicité supposée des RH et d'autres personnes plus haut placées que le numéro 2 n'est donc pas évoquée, même si on pourrait potentiellement et peut-être hypothétiquement (évitons le procès inutile) se douter que certaines choses se savaient.
Mais quelles sont ces choses, me demanderez-vous, vous qui n'étiez peut-être même pas nés en 2020, cette époque totalement différente d'aujourd'hui ? Préparez votre bouclier à dingueries, parce qu'on est parti dans les abysses de la folie !
Déjà, d'autres personnes bien meilleures et plus informées que nous suivent ce petit événement. Libération (article payant), bien sûr, mais aussi leurs copains comme Le Monde (article payant) ou France Info (article gratuit, merci le service public !). D'ailleurs, la journaliste auteure de ce dernier article, qui assiste au procès, tient des résumés de ce qu'il s'y passe, sur son compte Bluesky, avec un fil par jour. Voilà le premier jour et le second. Le troisième jour a déjà commencé !
Ça nous parle donc de demander à une assistante d'aller chercher les enfants du directeur créatif à l'école ou de gérer la succession de sa femme. Entre critiques permanentes et insultes, on a le droit à des réflexions libidineuses, de la violence physique ou des crises de colère pleines d'insultes.
Mais ça va, parce qu'un prévenu a un ami juif, il ne peut donc pas être raciste.
Bon, je suis un peu salé mais l'honnêteté me pousse à dire que je peux comprendre certains faits car, surprise, il ne s'agit pas de cas isolés dans le vide, sortis de nulle part. En effet, la toxicité s'est, après les premières révélations, avérée être présente dans plusieurs directions de différents studios Ubisoft et, encore surprise, même ailleurs. Ces dernières années, nous avons pu voir défiler les histoires d'horreur et si Ubisoft et Blizzard étaient bien mis en avant, la liste ne s'arrêtait clairement pas là.
En effet, il s'agit bien d'un problème systémique. Je suis moi aussi un homme blanc qui évolue dans la tech et je suis tout à fait touché par ce système de boy's club tant évoqué. En effet, la plupart des gens du milieu sont des hommes et la culture commune qui s'en dégage est donc très masculine, depuis les études et transférée dans le milieu professionnel. Ainsi, la masculinité, une certaine objectification des femmes (voire complète misogynie, soyons fous) et la provocation dominent. C'est rigolo d'insulter les copains et de leur faire des blagues racistes.
Cependant, les gens ciblés par les blagues racistes et sexistes peuvent trouver ça moins rigolo, parce que ça contribue, au minimum, à normaliser et perpétuer les discriminations réelles qui les touchent parfois au quotidien. Même si c'est sur le ton de la blague, ça peut continuer à faire vivre différents clichés néfastes.
Ensuite, la domination qui découle des liens hiérarchiques complexifie encore plus les relations. C'est une chose d'insulter son copain qui se marre, c'en est une autre d'insulter son subalterne qui doit décider, consciemment ou pas, s'il doit se marrer ou prendre le risque de vexer son chef, ce qui pourrait avoir des répercussions sur sa vie professionnelle, celle-ci étant indispensable à sa survie matérielle.
Souvent, donc, les petits plaisantins provocateurs et plein d'assurance se retrouvent propulsés à des postes de chefs et ils ne sont probablement pas assez formés, ou hermétiques à la critique, et ils deviennent des terreurs qui harcèlent leurs collègues, tout en pensant être quand-même très marrants. Bien sûr, certains collègues, baignant eux-aussi dans ce jus depuis le début, sont très réceptifs et trouvent tout ça super. Ils ont un chef rigolo avec qui ils peuvent faire des blagues salaces et racistes bien drôles, et tout le monde s'amuse. Ces derniers normalisent donc le comportement des brutes, qui deviennent encore plus difficiles à affronter puisque si "tout le monde" trouve ça normal, que pourrions-nous y faire seules, harcelées et à la limite du burn out permanent ?
En bonus, il y a aussi les dictateurs classiques, qui laissent aller leurs colères en plein fantasme de pouvoir, ne pouvant être contredits par des collègues plus bas sur l'échelle hiérarchique. Normalement, dans tous ces cas-là, on pourrait se dire qu'il doit y avoir une autorité quelconque pour les calmer. La première qui nous vient en tête est probablement le service des Ressources Humaines.
Seulement, rappelez-vous que les RH dépendent de la direction et que leur but est plus de contenir les problèmes que de les régler. Il n’est pas très étonnant que dans l’immense majorité de ces affaires, pour ne pas dire toutes, les RH ne sont citées que comme complices, voire facilitatrices. Entre un employé, ou même une poignée, qui se plaint et un haut placé dans l’entreprise, le choix de qui virer est souvent vite fait, rarement à l’avantage du subalterne. Si jamais le responsable est vraiment trop balancé par ses collègues, il suffira de le déplacer à un autre poste, pour qu’il terrorise d’autres gens, ailleurs. Eh oui, pas que dans le domaine du jeu vidéo.
Donc, ce procès ne corrigera pas les problèmes de fond mais il pourra peut-être nous apporter un réconfort cathartique à voir des brutes s’en prendre plein la tronche. Il ne faut surtout pas oublier que le combat pour que les choses changent se mène au quotidien.
Petit bonus pour les amis smicards
Lors des auditions, nous apprenons que Tommy François, vice-président de l’édito, était payé entre 80 000 euros annuels brut (au début) et 120 000 euros, soit 10 000 euros bruts mensuels. Pas mal, mais attendez, il y a mieux.
Serge Hascoët, numéro 2 d’Ubisoft et directeur créatif, dont le travail était de faire rentrer les propositions de ses créatif dans le moule fade qu’est l’Open World Ubisoft et d’avoir le dernier mot sur toutes les décisions créatives et qui, bien sûr, avait un comportement digne des pires managers de l’histoire, était rémunéré à hauteur de… 52 000 euros mensuels… net. Cinquante-deux mille euros net par mois. Soit environ 67 000 euros mensuels brut, soit 804 000 euros annuels brut.
Ce salaire mensuel est à peu près le double du salaire annuel d’un développeur avec dix ans d’expérience. Même si ça ne représente qu’une heure de Bernard Arnault, deux Hascoët suffiraient probablement à financer Clair Obscur: Expedition 33, qui a fait sensation dernièrement.
Si je travaillais chez Ubisoft, je me précipiterais vers le syndicat le plus proche pour lui faire organiser une grève et exiger que l’entreprise ne permette pas d’avoir une différence de salaire supérieure avec un rapport du simple au triple. On parle de presque 42 SMIC pour un tyran qui n’a de comptes à rendre à personne, à part peut-être au numéro 1 qui a probablement intérêt à nier sa responsabilité.
Quelle époque formidable.