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Hotel Infinity

ZeP par ZeP,  email  @Ze_PilOt
Développeur / Editeur : Studio Chyr
On apprend en géométrie qu’un point est de dimension 0, qu’une courbe est de dimension 1 et qu’un plan est de dimension 2. Intuitivement, il semble donc impossible qu’une simple courbe puisse « remplir » tout un carré du plan sans jamais se croiser. Et pourtant, on peut construire précisément ce genre d’objet.

Ne pas rater le Koch

Une courbe qui visite chaque recoin d’un carré, en partant d’un motif en forme de U que l’on répète, de plus en plus petit, en le tournant et en l’imbriquant dans lui-même. C’est la courbe de Hilbert, un exemple emblématique de ces objets étranges que sont les fractales.

Autre curiosité mathématique : un hôtel possède habituellement un nombre fini de chambre. Mais si celui-ci en possédait un nombre infini ? Et qu'elles étaient toutes occupées ? Pourtant, on peut toujours y loger de nouveaux clients en réorganisant les occupants. Il suffit de déplacer ces derniers : celui de la chambre 1 va dans la chambre 2, celui de la chambre 2 dans la chambre 3 et ainsi de suite. La chambre 1 se libère, alors même que l’hôtel était « plein ». D’ailleurs, il pourrait arriver une infinité de nouveaux clients qu'on pourrait encore trouver une façon de les loger en réorganisant tout ce petit monde.

 

Théorie dès en chambre

« Pourquoi il nous parle de ça ? » « C’est quoi le rapport entre les deux ? » Eh bien, le rapport est multiple, à défaut d’être infini. D’abord, parce que ces deux idées, la courbe qui remplit un carré et l’hôtel aux chambres infinies sont associées au même mathématicien : David Hilbert. Bien que la seconde soit sans rapport direct avec la première, elles parlent toutes deux d’infini. D’un côté, une construction fractale, infiniment raffinée ; de l’autre, une expérience de pensée qui illustre le comportement déroutant des ensembles infinis. Enfin, parce qu’elles nourrissent l’imaginaire d’un même créateur de jeux vidéo : William Chyr, d’abord avec Manifold Garden, un jeu de réflexion dans un environnement fractal se répétant à l’infini, et maintenant avec Hotel Infinity, un titre de réflexion dans un environnement fractal se répétant donc à l’infini. Et espèrons le dans sa prochaine œuvre, un jeu de réflexion dans un environnement fractal se répétant encore à l’infini.
 

Hotel Infinity est donc un jeu en VR nécessitant un espace réel libre de 2 m² (un mode « je suis parisien » où vous pouvez vous téléporter existe, mais il gâche complètement l’expérience). Ici, point de téléportation ou de déplacement au stick, il va falloir utiliser vos petites jambes grâce à un brillant concept de déplacement utilisant... les courbes de Hilbert. À force de suivre ces trajets en U repliés sur eux-mêmes, on enchaîne virages et demi-tours, on rebrousse chemin sans vraiment revenir au même endroit, et l’architecture de l’hôtel se reconfigure sans cesse autour de nous.

Comme l’hôtel est infini, il se replie aussi sur lui-même. On se retrouve dans des situations impossibles où un bout de corridor débouche sur un escalier que l’on vient pourtant juste de monter à « l’autre bout » du même couloir. Des boucles spatiales se forment, les perspectives se contredisent, les distances perdent tout sens, et on peut se faire coucou de la main. C’est le genre de choses qu’il est quasiment impossible de rendre clair par écrit. Espérons que cette petite capture du début du jeu y contribue.

On en veut Cantor

Visuellement, on pourrait croire à un cousin lointain de Portal ou à un titre de Schell Games : des environnements clairs, lisibles, et disons-le clairement, possibles à afficher avec la puissance limitée d’un Quest 2 ou 3. Mais côté ambiance, on est ailleurs. Aucun dialogue, aucune présence humaine à proprement parler. Juste cet hôtel étrange, ses couloirs qui se plient et se déplient et une bande-son minimaliste, presque plus portée sur les bruitages que la musique. Plus on avance et plus l’hôtel se déconstruit, plus l’impression de se retrouver au cœur de La Maison des feuilles se fait sentir.

Espace luminaire

Le jeu ne cherche pas à faire peur au sens classique. Pas de monstres, pas de jumpscares. Non, la peur vient d’ailleurs, d’une perte totale de repères. On sait rationnellement qu’on marche dans une petite pièce réelle, mais le fait d’arpenter des centaines de mètres de couloir sans jamais heurter un mur physique provoque une réelle dissociation entre le corps et l’espace perçu. Ce qui a pour effet de créer un malaise très particulier, une tension diffuse mais bien réelle, dont il est difficile de pointer l’origine précise. C’est l’angoisse.

Sur ce plan-là, Hotel Infinity surpasse largement la plupart des jeux qui surfent sur la mode des backrooms ou des espaces liminaux qui m’ont toujours, au mieux, fait doucement bâiller. Plutôt que de se reposer sur une esthétique facile, à base de couloirs vides jaunâtres et de néons qui grésillent, ici l’étrangeté naît vraiment de la structure impossible de l’espace, du déplacement et du design mathématique sous-jacent, tels que décrit dans l’œuvre séminale de ce type d’expérience, la Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski.

Hilbert, même en mode facile

On ne peut malheureusement pas en dire autant des énigmes. Les idées derrière les puzzles sont intéressantes, bien pensées, mais à peine effleurées. Chaque concept est introduit, exploité une ou deux fois, puis le jeu passe à autre chose sans vraiment le pousser jusqu’au bout. Mais aussi parce que le titre est court. Comptez trois à quatre heures pour en venir à bout. Ce n’est pas un défaut en soi, tant l’expérience est dense et éprouvante sur le plan sensoriel. En un sens, ces petites énigmes relativement simples mais rigolotes car jouant avec l'espace servent de respirations au milieu du vertige. Mais je regrette un peu que le jeu ne s’autorise pas quelques puzzles plus ambitieux.
Hotel Infinity est une expérience géométrique incarnée. Son ambiance oppressante en fait une œuvre à part. Le genre d'expérience uniquement possible en VR. On pourra lui reprocher des énigmes un peu sages et une durée de vie limitée, mais ce serait passer à côté de ce qu’il réussit brillamment : faire ressentir, physiquement, ce que signifie se perdre dans un espace infini qui se replie sur lui-même. Si vous avez un casque VR, un carré de sol dégagé et une certaine tolérance au vertige existentiel, Hotel Infinity mérite amplement la boucle.
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