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Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
INTERVIEW

Labeur et l'argent du beurre

Fougère par Fougère,  email  @JeSuisUneFouger
Début septembre, il y a eu un mini tremblement de terre dans le monde du JV. Quelque chose de discret, que vous avez facilement pu louper, une germination qui aurait finalement fait éclater la terre, mais qui pourrait avoir un impact beaucoup plus important et durable qu’on ne le pense. C’est la création du STJV, le Syndicat des Travailleurs du Jeu Vidéo, par des mecs comme vous et moi, qui bossent dans des studios de JV français. Nous sommes allés rencontrer trois de ces membres pour leur poser quelques questions.
Nous avons donc pu tailler le bout de gras pendant près de deux heures avec Alexis, Corentin et Vincent, tous les trois employés dans des studios parisiens, et qui font partie de l’initiative depuis ses débuts. Le syndicat compte actuellement une trentaine de camarades, dont la majorité est située à Paris, avec quelques contacts en Province. Ils s’attendent à voir ce nombre rapidement augmenter une fois que les inscriptions seront disponibles, ce qui devrait être le cas au moment de la publication de cet article. Ils sont en train d’organiser la création d’antennes dans chaque grosse ville de France, afin que les adhérents puissent facilement entrer en contact avec la structure.

Syndicate : Baguette Revolte

Et vous allez me dire : "Mais comment est-ce qu’on en vient à créer un syndicat, Jamie ?" Et bien, mon cher Fred, cela s’explique par une combinaison de facteurs, le troisième va te surprendre ! Dans un premier temps, il faut comprendre que la grogne vis-à-vis des conditions de travail dans le JV n’est pas nouvelle. Que ce soit à travers "le tumblr Jebossedanslejeuvideo ou Ubi free", un malaise existait déjà vis-à-vis des conditions de travail dans certains studios, mais "la peur d’être grillé dans l’industrie" fait que les personnes concernées refusent de rendre leurs plaintes publiques. Ensuite, l’élection de Macron et "les manifestations anti loi-travail ont servi de catalyseur pour tous ceux qui s’intéressaient aux droits des travailleurs et bossaient dans le JV." Plusieurs petits groupes distincts de devs ont commencé à discuter, se réunir, et à travailler ensemble sur une initiative commune, le STJV. Et enfin, parce que c’était nécessaire ! Quand Vincent a été élu Délégué du Personnel, il a "fait le tour des DP de différents studios, et de mois en mois, on s’est retrouvé à un petit groupe de personnes à se poser la question : pourquoi est-ce qu’on n'a pas de syndicat ? Alors qu’on en avait vraiment besoin."



Une fois le processus lancé, il a fallu un paquet de réunions et d'aller-retour chez l'avocat avant d’obtenir tous les documents nécessaires et aboutir à la création de l'entité juridique. La majorité de ce boulot s’est faite en sous-marin, avec de la communication "par bouche à oreille et par affinité, parce que le sujet est un peu tendancieux dans le milieu." Pour le moment, la majorité des membres sont des programmeurs, mais il y a aussi des game designers, des sound designers, des graphistes, bref, un panel représentatif des métiers nécessaires à la création d’un jeu vidéo. Et ils ne se limitent pas aux membres de studios, ils invitent tous ceux qui se sentent concernés à les joindre : e-sportifs, étudiants, journalistes, indépendants, etc. Les seuls dont ils ne veulent pas défendre les intérêts, c’est ceux "qui vivent du boulot des autres", donc les directeurs de studios (qui sont déjà représenté par le SELL et le SNJV).

Les raisons de la colère

Maintenant la vraie question : qu’est-ce qu’ils ont l’intention d’accomplir, à court, moyen et long terme ? 

Une de leurs premières missions est de fournir de l’aide à ceux qui en ont besoin, qu’ils soient syndiqués ou pas. Il y a "un vrai problème de perception sur le processus de création d’un JV, entre ce que les gens imaginent et la réalité du travail dans un studio de JV", et cela crée des situations de détresse qui peuvent se résumer en trois axes majeurs : les salaires, les heures supplémentaires et le management. Ils sont déjà en contact avec plusieurs personnes pour des problèmes de salaire minimum non respecté, des heures supp' non payées, du harcèlement moral ou des licenciements abusifs. À ce niveau, ils veulent se positionner comme un contre poids vis-à-vis des studios, afin de pouvoir venir en aide aux personnes qui le demandent, et apporter leur soutien au cas par cas. Leur objectif est de faire respecter la loi, mais aussi de faire évoluer la législation, afin qu’elle soit plus en accord avec le fonctionnement réel d’un studio. Un exemple tout bête, c’est qu' "il y a plein de conventions de salaire différentes utilisées, du coup les gens ne savent pas si le salaire qu’ils touchent est 'normal' pour ce qu’ils font ou pas, il n’y a pas de comparaison possible." Ou alors "s’assurer que tous les studios qui doivent avoir un délégué du personnel (à partir de plus de 11 personnes) en ont un." La base quoi.

À moyen terme, ils veulent faire l’état de l’industrie et mettre à disposition de la documentation, afin que tout le monde puisse s’informer. Pour le moment, "on découvre un peu le boulot au fur et à mesure, les formulaires d’adhésion par exemple, ça ne se fait pas en 2 coups de cuillères à pot. Mais on voit déjà où est ce qu’on doit concentrer nos efforts." Ils veulent que le STJV s’organise de manière horizontale, "il y a des élus, mais ils n’ont pas un rôle de commandement, ils sont plus là pour confirmer que ce qu’on fait, on le fait dans les règles", afin que tout le monde touche-à-tout. Actuellement, tous ceux qui participent au projet le font de leur plein gré, et s’organisent en commission autonome qui s’attaque à des problèmes définis. Ils veulent rester sur ce modèle, afin que tout le monde reste concerné, et ne pas embaucher des gens qui feront ça à plein temps. Le gros du boulot consistera à accueillir ceux qui souhaitent rejoindre l’organisation, produire et maintenir une base de documentation en ligne accessible à tous et répondre aux demandes d’aides.
 
A long terme, ils souhaitent servir de réseau entre travailleurs du JV, mais surtout, ils veulent promouvoir des méthodes d’organisation alternatives pour les studios. Même si leur activité principale sera d’offrir une protection contre les abus, et qu’ils travaillent déjà sur des dossiers législatifs qui prendront des années avant d’être réalisés, leurs ambitions sont clairement ailleurs. Plusieurs fois, ils insistent sur le fait que le fonctionnement actuel des studios est au mieux bancal, au pire complètement déséquilibré, et qu’il faut promouvoir des méthodes de créations de JV alternative. Que ce soit des collectifs de développeurs comme Klondike.fr ou des petits studios comme Motion Twins, d’autre méthodes d’organisation existent (et fonctionnent carrément mieux). Par exemple, "le rythme de travail dans les studios est actuellement difficilement conciliable avec une vie de famille", ou le fait que "la moyenne d’âge des mecs qui bossent dans le JV n’augmente pas, qu’ils préfèrent quitter l’industrie arrivés à un certains point" démontre qu’il faut réfléchir à des manières de fonctionner plus saines. Finalement, ils souhaitent servir de réseaux entre les gens qui travaillent dans le JV (et les chômeurs aussi, sinon il n’y aurait plus beaucoup d’indépendants), afin qu’ils puissent se mettre à travailler ensemble, et à créer de nouvelles structures. Actuellement, le milieu est très concurrentiel, et les places dans les studios sont chères. Mais si tous les gens qui cherchent du boulot se retrouvent au même endroit, et bien elles pourront échanger, avoir des idées et se lancer dans la création de jeux, voire de studios, sans avoir besoin de personne. 

Cette déclaration d’intention, même si elle est ambitieuse, leur semble tout à fait réalisable. Il faut dire qu’ils ont reçu beaucoup de soutiens, de la France mais aussi d’ailleurs. Des studios espagnols ou américains les ont contactés pour leur témoigner leur soutien, et il parait même que "on serait le premier syndicat de ce genre au monde, mais on n’est pas encore sûr à 100%." L’annonce de la création du STJV a rencontré une réaction globalement très positive (et une absence de réaction de la part des studios ou du SNJV), ce qui les conforte dans l’idée que cette organisation commençait à être douloureusement nécessaire.
On conclura cette interview par la définition qu’ils se sont eux même donnée :
"Le Syndicat des Travailleurs du Jeu Vidéo a pour but de constituer un pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle entre tous les travailleurs et travailleuses de l’industrie du jeu vidéo."
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