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Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
INTERVIEW

Caroline Marchal ombre, mais plus pour longtemps

K.Mizol par K.Mizol,  email  @Super_Slip_Man
Après avoir fait ses classes chez Quantic Dream sur Fahrenheit, Heavy Rain et Beyond : Two Souls, Caroline Marchal a continué à prendre de l'XP chez Sony London avant de fonder son propre studio basé sur les jeux narratifs : "Interior Night" (vous l'avez ?). Récemment dealé auprès de Sega, leur premier jeu se veut encore mystérieux mais le jeune studio se montre ambitieux. Des raisons suffisantes pour tailler le bout de gras avec la tout à fait sympathique Caroline, que je tiens à remercier publiquement pour sa disponibilité et sa gentillesse. 
Pour commencer parlons un peu de ton parcours. Quelle expérience retiens-tu de tes passages chez Quantic Dream et Sony London ?
Chez Quantic, j’ai énormément appris sur le game design mais aussi sur la façon dont on produit un jeu concrètement en travaillant avec une équipe multi disciplinaire. Après 3 grosses productions et une équipe qui est passée d’une trentaine de personnes à plus de 150, il était temps de changer. Je voulais travailler à l’international sur des projets de taille plus modeste et j’ai choisi de rejoindre Sony London Studio qui travaille principalement sur des hardwares innovants et sur des mécaniques sociales. C'était intéressant et enrichissant en tant que Designer de découvrir une culture différente. Après deux ans, j’ai senti le besoin de revenir à du purement narratif. 
  
Quantic Dream s'est spécialisé dans les jeux narratifs, tu as bossé sur Heavy Rain et Beyond : Two Souls pour eux côté game design, Sony London a collaboré à Hidden Agenda pour lequel tu as réalisé quelques prototypes narratifs. Il s'agit du même genre de jeux mais est-ce que les studios travaillent de la même façon côté création - et en particulier côté écriture, ton domaine de prédilection - ?
Chez Quantic l’organisation est très verticale. C’est très simple : tout part du Game design/script, ce qui fait totalement sens quand tu travailles sur des jeux narratifs.
Pour Sony, c’est plus difficile à dire parce que je n’ai pas participé à une production du début à la fin - j'étais principalement côté concept - mais le rôle du narrative designer ou du writer est plus traditionnel : en général, ils font appel à des freelances - parfois un peu tard dans la production - et ils se concentrent avant tout sur les mécaniques.


 
Chez Sony London tu as aussi travaillé sur la VR, ça change réellement le procédé d'écriture ?
Le facteur principal qui influence le processus d'écriture, c’est l’interactivité. C’est la présence d’une audience active - le ou les joueurs - qui change vraiment la façon dont on conçoit une histoire. De ce point de vue, écrire pour la VR n’est pas fondamentalement différent que d'écrire pour un jeu vidéo “classique”.
Mais, bien évidemment, la VR a ses spécificités (pas de cut camera, interactivité à 360, challenges pour le déplacement et motion sickness...etc) et surtout, comme c’est un medium super jeune, il y a énormément de choses à expérimenter et à découvrir.
 
Penses-tu que la VR a un véritable avenir ?
Pour l’instant, la VR est encore niche parce que la technologie de salon n’est pas encore au niveau (fils partout, casque encombrant, résolution pas exceptionnelle...etc). L'expérience elle-même est assez intense et isolante, donc un peu déroutante pour de nombreuses personnes.
En attendant, le mobile VR est plus accessible, mais limitée en terme d'interactivité (pas de manette) et les expériences type arcade comme The Void (j’ai essayé, je recommande chaudement !) permettent à un public plus large de se familiariser avec le medium.
Au final, je pense que la VR a un avenir, et que le jeu vidéo va évoluer de manière intéressante sur ce support. Mais on ne saura vraiment que dans plusieurs années si la VR arrivera à percer le mass market - et que d’ici-là, c’est peut-être la Réalité Augmentée qui prendra le pas.

Revenons à toi, pour quelles raisons avoir fondé ton propre studio ? Ça part d'une "simple" volonté de raconter tes propres histoires ?
C’est assez simple en fait : j’avais un concept de jeu auquel je croyais et je me sentais prête après 15 ans dans l’industrie. J’ai eu beaucoup de chance de réussir à signer un deal. Aujourd’hui j’ai le privilège de m’éclater créativement - ce qui a toujours été une priorité pour moi - et de travailler avec des gens talentueux.
 
A ce propos, pourquoi avoir fondé ce studio à Londres et pas à Paris ?
Je suis arrivée à Londres il y a 4 ans avec ma famille, j’aime beaucoup la qualité de vie. C’est ici que j’ai le plus de connexions dans l'industrie, le pool de talents est très important et il y a aussi beaucoup plus d'éditeurs sur place. Donc rester à Londres semblait logique.
 
As-tu l’impression que les talents français fuient Paris ? Ce qui n’est peut-être pas le cas pour les Anglais à Londres ?
Je ne pense pas qu'ils fuient Paris. J'ai même l'impression que l'industrie est plutôt dynamique ces dernières années avec la création de nouveaux studios ou la croissance d'autres comme DONTNOD et aussi la présence d'éditeurs qui se portent bien comme Focus ou BigBen Interactive.
Cela dit, en comparaison de Londres, ce n'est pas encore tout à fait la même échelle. Le marché ici est super international, avec des gens qui viennent vraiment de partout. Reste à voir ce que le Brexit va donner...
 
Comment s'est passé le deal d'édition avec Sega, leur approche etc ? Il est assez surprenant, on n’attendait pas forcément la firme japonaise sur un jeu narratif.
C’est vrai que c’est surprenant. Je les ai contactés en me disant “on ne sait jamais”, mais il s'avère qu’ils ont analysé le marché - comme d’autres éditeurs d’ailleurs - et ont conclu que le genre narratif avait un gros potentiel. C’est super que des éditeurs de l’assise et de la réputation de Sega aient envie d’innover. Ils ont un ethos qui me plait : ils sont très respectueux créativement et n’ont pas peur de prendre des risques en travaillant avec des studios fraîchement établis comme Interior Night ou Two Points.


 
Entre un titre Quantic Dream, un Telltale Games, ou encore un jeu de la mouvance walking simulator type Gone Home, il existe plusieurs styles de jeux narratifs assez différents aujourd'hui. Dans quelle catégorie se rangera votre première production ?
Dans sa propre catégorie, j’espère. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. On communiquera sur le jeu le moment venu.
 
Et techniquement, quelles sont les ambitions de votre jeu ? Doit-on s'attendre à du photoréalisme ?
Graphiquement, on a pour ambition de se démarquer des autres jeux tout en offrant une expérience émotionnelle forte. Mais c’est trop tôt pour en dire plus.
 
De manière générale est-ce que tu penses que l'aspect technique a un impact sur la narration ? Est-ce qu'un jeu techniquement largué mais avec une bonne histoire peut faire un bon jeu ?
Ca dépend ce que qu’on entend par aspect technique. Si le jeu rame ou crashe, c’est bien évidemment un problème. Si on parle de l’aspect visuel, alors c’est différent.
Pour un jeu narratif, deux choses comptent : la qualité du script et l'exécution, comment ce qui est sur papier est transcrit à l'écran, manette en main - ce qui n’est pas synonyme de graphismes dernière génération. Les exemples qui montrent qu’une expérience narrative intéressante n’a pas besoin d'être visuellement à la pointe de la technique sont nombreux : Thomas was Alone, Life is Strange, Papers, please, Gone Home, Firewatch...
 
L'un des principaux reproches fait aux jeux essentiellement narratifs c'est leur passivité manette en main. Est-ce qu'un jeu à fortes ambitions narratives se doit d'avoir une interactivité très encadrée ?
J’ai l’impression qu’il y a parfois un malentendu sur le terme passivité, qui est souvent utilisé pour dire que les jeux narratifs manquent de challenge ou de mécaniques parce qu’ils ne reposent pas sur des loops de gameplay classiques. Dans les jeux narratifs, le challenge et les compétences sont moins importantes que l’attachement aux personnages et à l’histoire. L'équivalent du level up, c’est de découvrir la suite de l’histoire et de l’influencer. Ça ne veut pas dire que les jeux narratifs proposent une expérience passive. Des jeux comme Oxenfree ou Life is Strange sont très interactifs et offrent aux joueurs une grande autonomie.
Cela dit, pour être totalement honnête, les jeux narratifs restent en général relativement encadrés parce qu’il est très difficile de raconter une histoire qui soit complètement procédurale /player generated.
 
Dans quelle mesure est-ce important pour vous de séduire les "non-joueurs" ? Une volonté que vous affichez ouvertement.
C’est super important pour nous. En tant que joueuse, j’ai envie qu’un maximum de gens profitent de l’expérience unique et enrichissante que sont les jeux.
Le genre narratif est à priori le plus universel : il repose moins sur les mécaniques et les compétences que sur l'intérêt pour l’histoire et les personnages. Donc c’est à la base plus inclusif, si l’histoire est bien racontée. Pourtant, c’est un genre qui reste encore un peu niche. Heavy Rain, gros succès sur Playstation 3 et PS4, a vendu 4 millions d’exemplaires en 7 ans. GTA V, en comparaison, a vendu 10 fois plus d'unités sur la même plateforme. A quoi ça tient ? A mon sens, pas mal aux mécaniques qui demandent quand même une maitrise de la manette/clavier assez pointue. Quand on est joueur, on oublie à quel point la manette peut être intimidante pour des non joueurs. A Interior Night, on cherche à faire une expérience de jeu plus accessible, sans la rendre simpliste.
 
Interior Night promet une histoire qui s'adresse aux adultes pour son premier jeu, en citant Breaking Bad, Fargo et True Detective en référence. Est-ce que ce n'est pas se mettre une grosse pression tant les exemples cités sont hautement qualitatifs en terme d'écriture ?
Totalement. Mais il faut bien se donner des buts élevés, sinon on finit avec un jeu moyen. Donc, on met la barre haute et on essaye de faire de notre mieux pour l’atteindre.


 
Ça n'échappera à personne, ce sont des séries TV que vous citez, est-ce que l'on doit y voir une tendance sur laquelle se penchera votre jeu en termes de découpage (épisodique ?) ou est-ce tout simplement parce que les séries développent plus en profondeur leur intrigue et leurs personnages ?
Ce qui se fait de mieux en termes d'écriture en ce moment se passe à la TV. Donc c’est naturellement là qu’on regarde pour trouver les meilleurs personnages et les propos les plus intéressants. Niveau rythme, il y a aussi plus de similitudes entre les jeux vidéo et la TV qu’avec les films.
 
Quels sont les jeux qui t'ont impressionné côté narration et/ou de scénario et pour quelles raisons ?
Les meilleurs jeux pour moi sont ceux qui offrent une symbiose entre leur gameplay et l'histoire qu’ils racontent, quand ils renforcent tous les deux le propos. Donc c’est plus une expérience globale que je retiens. Récemment, j’ai été impressionnée par Zero Time Dilemma, Oxenfree, Inside et What Remains of Edith Finch. Dans mes classiques, j’ai Shadow of the Colossus, Papo and Yo, Killer7 et Catherine - beaucoup de Japonais, mais c’est normal, ce sont les plus fous créativement.
 
As-tu joué à The Witcher 3 ? C'est pour moi le jeu le mieux écrit de l'histoire des jeux vidéo. La moindre quête annexe est hyper bien écrite et donne envie de la suivre jusqu'au bout, (c'est d'ailleurs le seul jeu où j'ai fait absolument toutes les quêtes annexes), l'univers est adulte, intelligent... Il est vraiment porté par son écriture et pourtant ce n'est pas un jeu narratif au sens où on l'entend désormais (Firewatch, Heavy Rain, The Stanley Parable, Life is Strange etc). De fait, je trouve cet exemple intéressant.
Non, je n'y ai pas joué, mais ce que tu m'en dis fait super envie. C'est juste que c'est le genre de jeu qui demande un investissement assez conséquent et qu'entre la famille et le boulot, c'est difficile de trouver le temps. Mais je le mets sur ma liste avec Monster Hunter !
 
Quelle est pour toi la principale difficulté dans l'écriture d'un jeu ?
Il y en a beaucoup en vrai (créer des choix qui ont du sens, contrôler les coûts, donner aux joueurs suffisamment de liberté sans casser l’histoire...etc). Mais s’il ne faut en garder qu’une, parce qu’elle est absolument fondamentale, c’est de penser le gameplay en même temps que l’histoire. Et c’est valable quel que soit le genre de jeu (narratif, action, puzzle...etc). C’est comme au cinéma : le scénario, la photo, les dialogues, la lumière, la musique contribuent à exprimer le thème du film. Pour les jeux, c’est pareil, il faut “juste” ajouter le gameplay à la liste.
 
Tu donnes des cours d’écriture en ligne sur le jeu vidéo en compagnie de John Yorke, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus à ce sujet ? Quel est l’objectif de ces cours ? Ils sont dédiés à des gens déjà dans l’industrie ?
J’ai conçu ce cours en ligne avec John Yorke qui est un ponte de la TV (ancien Head of Drama à la BBC qui fait maintenant du consulting en narration et qui a écrit un super livre à ce sujet, Into the Woods).
Le cours a été pensé pour les auteurs du jeu vidéo ou de media linéaires (TV ou film) qui souhaitent se réorienter dans la narration interactive. On aborde tous les grands principes qui permettent de concevoir une histoire de qualité (ça, c’est l’expertise de John), on adapte tous ces principes à la narration interactive (ça, c’est mon domaine) et on demande aux étudiants d’appliquer ce savoir à des exercices pratiques sur lesquels on donne du feedback. Le cours est également intéressant pour les autres professionnels du jeu vidéo (game designers, artistes, codeurs, producers...etc). Ça permet à tous d'acquérir un langage commun, d'améliorer la qualité des feedbacks et la qualité du jeu globalement.
Le cours est en 6 sessions (7 semaines), mais on essaie d'être raisonnables avec la charge de travail et souples : les étudiants choisissent quand ils consacrent les quelques heures hebdomadaires nécessaires au cours, c’est l’avantage d'être en ligne.


 
Travailler avec un auteur reconnu de la TV, c’est annonciateur d’une voie suivie pour le premier jeu d’Interior Night ?
Ah ah ! Bien tenté, mais je ne peux rien dire pour l’instant.
 
Est-ce que le jeu vidéo a besoin de l’expérience de ce type d’auteurs justement ? Bien souvent ils ont un peu tendance à oublier que le jeu vidéo est un média interactif et qu’il est intéressant d’utiliser la narration en ce sens…
Le travail d'écriture interactive et l'écriture linéaire sont très différents. En général, il est assez difficile pour un auteur traditionnel de comprendre la perspective du joueur. Pour eux, l'histoire ne peut aller que dans un sens et n’avoir qu’une fin. C’est le paradigme classique, qui a de bonnes raisons d’exister et qui marche très bien pour les autres media. En général, il vaut mieux faire travailler les auteurs avec des game designers qui ont une bonne compréhension des paramètres nécessaires à une bonne histoire - les paradigmes classiques sont toujours utiles - et qui savent tisser à l'intérieur de cette histoire la latitude nécessaire aux joueurs.
 
La narration interactive est d’ailleurs hyper intéressante dans le sens où il reste encore tout à y inventer ou presque. Finalement, tenter de former des gens dans les écoles spécialisées à l’écriture d’un jeu en ayant pour modèle le cinéma et sa narration passive, n’est-ce pas une grossière erreur qui pousse à ne pas être inventif ? Combien de jeux racontent leur histoire à travers de simples cinématiques ? Est-ce réellement ce que le jeu vidéo a de mieux à proposer ?
Clairement, le jeu vidéo est à son meilleur à mon sens quand le game design et la narration se répondent dynamiquement comme dans les exemples cités plus haut (je vous renvoie au niveau final de Papo and Yo ou à Ico…). L’impact est maximal quand l’histoire est racontée à travers les mécaniques, quand les joueurs font, qu’ils sont actifs, plutôt que lorsqu’ils doivent simplement regarder une cut scene. Cela dit, parfois, pour communiquer une information capitale ou spécifique - qui n’est pas possible avec les mécaniques de base -, la cinématique reste indispensable.
 
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