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Syberia 3, j'ai froid, si froid

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Microids Anuman Interactive
Supports : PC / Steam
Syberia 3 n’est pas bien long (une dizaine d’heures à tout casser), mais cet article sort pourtant plusieurs semaines après sa sortie. La raison ? On a du se forcer pour voir le bout de l’aventure, tant l’expérience fut douloureuse. Surtout quand l’auteur de ces lignes est un grand fan des deux premiers opus.
(Si le texte bave un peu ce n’est pas votre écran qui est mal réglé, c’est simplement qu’il a été écrit avec de la sueur et des larmes.)

Ivoire du pays

Auteur de BD à succès, Benoît Sokal est venu au jeu vidéo un peu par hasard et avec un timing parfait. A une époque où les ordinateurs personnels commençaient tout juste à se répandre  dans les foyers, appuyés par l’essor du CD-ROM et des éditeurs de logiciels bien de chez nous (ou, pour faire plus court : dans les années 90),  lui et son éditeur BD de l’époque se sont lancés dans le projet de faire une BD numérique interactive, sans aucune connaissance dans le domaine. Au final, cela a donné un des Myst-like les plus marquants de son époque, L’Amerzone, édité par Microïds. Une adaptation très libre d’une de ses propres BD, un des tomes de Canardo dont il ne subsistera que le titre et le cadre, une dictature imaginaire d’Amérique du Sud où vivent de légendaires oiseaux blancs. Succès critique indéniable (et pas inintéressant à jouer aujourd’hui, bien qu’il ait autant vieilli que le premier Myst), L’Amerzone a permis à Sokal de développer ses envies d’histoires interactives : en 8 ans, il a été à l’origine de 4 jeux d’aventures. Syberia (2002), Syberia 2 (2004), Paradise (2006) et L’Île Noyée (2007). Les deux derniers (édités chez Micro Application) sont mineurs et oubliés, même si L’Île Noyée peut valoir le coup d’œil pour son système de déduction et son obligation de résoudre l’enquête en 3 jours. En revanche, le diptyque Syberia (édité chez Microïds), qui se déroule dans le même univers que L’Amerzone, a marqué durablement les esprits en plus d’être un succès commercial indéniable  (la franchise est millions seller, et ouais ma gueule).

Syberia 1, en toute simplicité.

Les causes de ce succès sont multiples : une ambiance et une esthétique uniques, des décors soignés et mémorables, d’excellentes musiques, des doublages au top, des énigmes correctes, quelques pointes d’humour et d’émotion. Si Syberia 2 semble rétrospectivement un peu moins bon que le premier (notamment à cause de l’écriture de certains personnages et de deus ex machina ridicules), les deux jeux forment une expérience qui vaut le détour. Enfin, peut-être plus tellement 15 ans plus tard : quand on les a refait en prévision de ce troisième épisode, on s’est pris en pleine poire certaines mécaniques antédiluviennes tandis que les moments les plus marquants sont moins efficaces quand on les connaît déjà. Quoiqu’il en soit, Syberia est une licence dont le troisième épisode était attendu, mais était surtout en chantier depuis 2009, date de sa première annonce par Anuman Interactive (nouveau propriétaire de Microïds). Visiblement difficile à budgéter, le développement ne commence réellement que fin 2012. Visiblement difficile à développer, le jeu reste sous les radars jusqu’à l’approche de l’E3 2016, où nous avons pu y jeter –enfin- un œil. Cette trop longue introduction a pour but de mettre en lumière deux choses fondamentales pour comprendre Syberia 3 : Benoît Sokal est venu au jeu vidéo pour faire de la BD interactive, et le projet d’un troisième épisode a tout du chantier casse-gueule qui débouche sur un vaporware.

Previouslyberia

Dans Syberia, l’avocate new-yorkaise Kate Walker traversait l’Europe de l’Est en train mécanique piloté par Oscar, un automate intelligent, à la poursuite du mystérieux Hans Voralberg, vieux créateur d’automates un peu autiste (non, je ne ferai pas cette blague), dernier héritier de l’usine familiale dont le cabinet de Kate devait finaliser la vente. Elle finissait par retrouver Hans dans une station balnéaire soviétique décrépie et décidait de poursuivre avec lui le voyage vers Syberia, une île mythique où vivent les derniers mammouths. Dans Syberia 2, on aidait Hans à tenir le coup jusqu’à Syberia, notamment grâce à l’aide du peuple Youkol et au sacrifice d’Oscar, et dans un final un peu ridicule mais pas dénué d’émotion, Hans Voralberg grimpait sur le dos d’un mammouth, réalisant son rêve d’enfant et pouvant mourir heureux. Le destin de Kate Walker était alors incertain, perdue seule sur une île glacée au milieu de l’océan arctique. Et si je viens de spoiler les deux premiers jeux comme un sagouin, c’est tout simplement parce que Syberia 3 ne prend même pas la peine de faire un topo pour les joueurs qui débarqueraient sans les connaître. Rien, pas le moindre petit résumé sous quelque forme que ce soit. Un peu étrange, étant donné que le jeu démarre tout juste après la fin du 2 et qu'il fera appel à des éléments de scénario des deux  premiers.



Mais soit : Kate Walker a réussi à quitter Syberia, mais agonise d’hypothermie au bord d’une rivière gelée. Heureusement, les Youkols rencontrés dans Syberia 2 ont entamé la transhumance tridécennale des autruches des neiges, récupèrent Kate sur le chemin et l’amènent à la clinique de Valsembor. Là où le jeu démarre vraiment, par le réveil de l’ex-avocate qui va alors devoir trouver un moyen de s’échapper de la clinique et de rejoindre les Youkols pour les aider à mener à bien une transhumance rendue délicate par l’hostilité des sédentaires locaux et par les cicatrices purulentes du soviétisme. Par exemple, les méchants sont désormais des miliciens paramilitaires et le jeu nous fait traverser entre autres une simili-Tchernobyl noyée sous les radiations. Plus sérieux, plus ambitieux, plus ancré dans la réalité que dans les deux premiers épisodes, ce scénario est le premier gros point faible du jeu. Une des grandes réussites des premiers Syberia étaient leurs environnements décrépis mais hors du temps, délicieusement absurdes et surannés et qui stimulaient l’imagination quand on les explorait. Ce qui n’empêchait pas de créer de l’enjeu, au travers des personnages qui les habitaient (le directeur d’usine dans le 1 ou le patriarche du monastère dans le 2, par exemple). Dans Syberia 3, en dehors de l’avant-dernier niveau où se succède une fête foraine, un métro art-nouveau et un stade soviétique, tout est gris, terne, désespérément neutre et habité par des personnages sans aucune nuance, soit fades soit ultra-caricaturaux. Le grain de folie, d’absurde et d’humanité est censé être amené par les Youkols, mais on reviendra sur le cas épineux de ces pauvres nomades plus tard.

Avec mon soss automate

Mais bien plus que par la pesanteur de son histoire, Syberia 3 est plombé par une narration d’une lourdeur incomparable. Il faut dire que le jeu part avec un handicap : il ne reste presque aucun enjeu issu des premiers épisodes. Il restait la question de la survie de Kate, réglée dès la cinématique d’ouverture, et celle de ses relations avec son cabinet d’avocat et sa famille n’est que de faible intérêt. Péniblement, Syberia 3 tente donc de mettre sur pied une nouvelle histoire digne de notre attention et de notre implication. Mais tout se résume à « la transhumance des autruches doit avoir lieu, les Youkols m’ont sauvé la vie, je dois les aider ». Le rythme de la narration est alors haché : la caravane se met en route, tombe sur un obstacle, on passe un long moment à résoudre le problème, puis la caravane se remet en route… et retombe immédiatement sur un obstacle. Ces multiples coups de freins sont somme toute une réminiscence des jeux précédents : la structure rappelle beaucoup les arrêts du train mécanique. Mais quand on ne prend pas de plaisir à parcourir les lieux entre chaque cinématique, et qu’aucun arc narratif digne d’intérêt ne simule une sensation de progression (par exemple, dans Syberia 1, on découvrait progressivement qui était Hans Voralberg, au travers des gens qui l’avaient connu), le constat est rude mais implacable : on se fait chier.



A cela s’ajoute deux autres problèmes impossibles à occulter. Déjà, contrairement à ses aînés qui, à l’époque de leurs sorties, étaient franchement jolis, Syberia 3 affiche un retard technique d’au moins 5 ans. Malgré un soin évident apporté à la composition des décors ainsi qu’à la modélisation des visages et de gros efforts pour les rendre vivants, le jeu paye son choix d’abandonner les écrans précalculés pour de la 3D temps réel. Les textures ne sont pas aussi fines qu’on aimerait, les animations rigides et peu variées et le framerate est d’une inconstance horripilante. On reste un cran au-dessus des Telltale, mais pas de beaucoup. L’autre problème vient des contrôles, plus frustrants qu’autre chose. Oubliez le clavier/souris et sortez la manette : l’utilisation des sticks est indispensable pour ne pas casser son écran, et même ainsi il est difficile de jouer plus de 10 minutes sans pester contre l’ergonomie. Il n’y a pourtant pas énormément d’actions disponibles, mais Syberia 3 a troqué la simplicité rigide de ses aînés contre une pseudo-souplesse imprécise. Dans le temps, un point’n click portait bien son nom : on cliquait et l’action s'effectuait. Aujourd’hui, il faut déplacer personnage et caméra, switcher entre des points d’intérêts, manipuler les objets avec les sticks… Il y avait pourtant au départ une bonne idée de menu, séparé en deux parties accessibles via les gâchettes, comme dans le récent Yesterday Origins (également chez Microïds). Visiblement développé avec des moyens financiers et humains limités, le jeu aurait gagné à être moins ambitieux et à aller à l’essentiel.

Bande décimée

Sauf que le choix de passer à des décors en 3D et à des contrôles plus maniérés découle de ce qu’on disait en introduction : Benoît Sokal à l’ambition de faire de la BD interactive. Raconter une histoire en utilisant les spécificités d’un medium atypique. Il a été l’un des pionniers dans cette démarche, et si ses tentatives d’il y a 10 ou 15 ans empruntait la formule du point’n click, d’autres studios et créateurs ont exploré le terrain depuis. Les walking simulator, les productions Telltale ou même les jeux de ce très cher David Cage se concentrent, avec plus ou moins de succès, sur l’histoire, la narration, la mise en scène… Rassurez-vous, il n’y a pas de QTE dans Syberia 3, mais ses angles et ses mouvements de caméra, ainsi que son système de dialogues offrant une alternative à la résolution par énigmes évoquent évidemment ces précédents. Avec cependant une particularité : le jeu tente beaucoup plus de choses dans ses choix de mise en scène lors des phases de gameplay. Jeux sur les perspectives, les changements d’échelle, cadres soignés, mouvements de caméras précis et dynamiques… rarement un point’n click aura semblé aussi ambitieux à ce niveau-là. Il est même surprenant que les cinématiques, plutôt pauvres et convenues, n’aient pas bénéficié d’un tel soin.



Et c’est probablement la source de tous les problèmes de Syberia 3 : son ambition originelle d’être une BD interactive unique portant un message fort. De ce choix découle le passage à la 3D (et donc les décors moins fins et moins majestueux), un scénario plus sérieux, le renforcement des interactions avec le joueur. Bref, un projet qui aurait nécessité beaucoup plus de moyens, notamment pour que tous les rouages tournent ensemble correctement. Or ici, les choix de mises en scènes frustrent la progression du joueur : certains cadrages et mouvements de caméras ont été pensés pour être jolis à regarder, mais faire évoluer Kate Walker à l’intérieur est une plaie. On est quand même sur un jeu où on peut rater un escalier parce qu’on a du mal à évaluer les perspectives, et où il n’est pas rare de voir son personnage disparaître parce que la caméra ne peut pas le suivre dans certains endroits. Sans compter tous les murs invisibles dans lesquels on bute régulièrement. Bien sûr, il reste des fulgurances où tout cela fonctionne de concert, mais ces moments restent trop rares pour que Syberia 3 soit agréable à jouer. D'une certaine façon, le jeu assume ce constat et propose un mode "facile" qui oriente beaucoup le joueur, pour qu'il progresse plus rapidement et facilement (en limitant les aller-retours et les phase de recherche, notamment).

Youkol et laid

Seule consolation, la musique. Malgré sa renommée grandissante qui aurait pu le tenir éloigné d'un projet de petite envergure (il est le compositeur attitré des Fallout depuis le 3), Inon Zur est revenu à la composition après un travail remarqué sur Syberia 1 et 2. Et bien que manquant un poil de variété (le thème principal est réarrangé à toutes les sauces), sa bande originale est de bien belle facture. C'est le plus gros point fort du jeu, et pas seulement parce que c'est l'un des seuls. Mais ce plaisir auditif était trop beau pour ne pas être gâché : le reste du son est une horreur. Si le sound design est tout juste correct, les doublages sont trop souvent honteux (certes pas aidés par des lignes de dialogues et une direction d'acteur au ras des pâquerettes). On éprouve de la peine pour la pauvre Françoise Cadol, qui tient son rang et double Kate du mieux qu’elle peut, atteignant presque son niveau d'il y a quinze ans. Mais tous ceux qui lui donnent la réplique sont au mieux nanardesques, au pire insupportables. Mention spéciale à « Olga Efimova », pire accent russe depuis Jean Reno dans Rollerball, et à l’ensemble des Youkols pour lesquels les doubleurs sont en roue libre, façon Demi-Lune dans Indiana Jones. Pour ne rien arranger, le mixage est souvent à la ramasse.



Les Youkols tiens, parlons-en pour finir. Dans Syberia, on ne les connaissait qu’au travers de documents épars, et le jeu nous laissait imaginer un peuple de fiers nomades, ayant apprivoisé le climat sibérien, intelligents, débrouillards et doté d’une culture et de connaissances chamaniques fortes. Dans Syberia 2, les choses commençaient à se corser un peu puisqu’on finissait par les découvrir, vivants au fond d’un tumulus glacé, maîtrisant des systèmes mécaniques complexes et guidés par une chamane aux pouvoirs réels, mais également très superstitieux, petits et obèses. Mais après tout, on ne les côtoyait pas plus que ça et leur village avait vraiment de la gueule. Mais dans Syberia 3, c’est un festival. L’un des personnages principaux du jeu, Kurk, est censé être le guide de son peuple pendant la transhumance. Rôle qui échoie dans les faits à Kate Walker, puisque Kurk se contente de lui demander de régler tous les problèmes. Peuple de nomades crasseux s’exprimant par onomatopées, bornés, parfois stupides mais volontaires pour les travaux physiques que nécessitent les actions de notre héroïne, les Youkols sont désormais un peuple de bons petits sauvages, naïfs et impuissants mais sauvés par l’action providentielle d’une blanche occidentale. Exit l’intelligence et la débrouillardise, balayée la culture empreinte de mystères préhistoriques : probablement sans le vouloir, Syberia 3 véhicule un message peu reluisant sur le nomadisme et la culture occidentale, un message carrément opposé à celui qu’il tentait initialement de faire passer. 
Ses musiques, quelques fulgurances de mise en scène et un peu Françoise Cadol. Voilà le maigre butin qu’on peut tirer de ce voyage en compagnie de Syberia 3. Très motivés à l’idée de faire une BD interactive, Benoît Sokal et son équipe ont produit un jeu écartelé entre ses ambitions narratives et ce qu’il était possible d’implémenter in game. Résultat, le jeu est déplaisant à jouer et sa partie narrative fait soupirer. On va faire comme si ce jeu n’existait pas et rester sur nos bons souvenirs de Syberia 1 et 2. Et oublier également que la fin du jeu présage un épisode 4. Brrrr...

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