TEST
Sunderfolk, il y a une application pour ça
Développeur / Editeur : Secret Door Games Dreamhaven
Sunderfolk est prévu idéalement pour être joué sur un canapé avec vos amis et c’est un jeu formidable. Maintenant, permettez-moi de vous pondre des milliers de signes pour vous expliquer comment j’en suis arrivé à cet avis.
Petite précision habituelle : nous avons reçu une clé pour Sunderfolk gratuitement, avant même la sortie du jeu, en échange de la rédaction du test ici présent. Je n’ai cependant pas eu l'occasion d’y jouer avant sa sortie et mon expérience est donc basée sur la version commerciale.Je suis un grand amateur de jeux de société, au point d'avoir plusieurs fois pensé à ressusciter la rubrique associée de Factornews. Quand j’ai vu l’annonce de Sunderfolk, qui voulait simuler l’expérience physique de cette activité via une coopération locale dans leur titre, j’ai tout de suite été intrigué. En effet, l’idée centrale est de présenter le jeu sur un écran commun à tous les joueurs, tout en leur permettant de contrôler leur personnage via leur smartphone.

Do you guys not have phones?
Premier obstacle, donc, il faut que chaque joueur ait un smartphone pouvant faire tourner l’application nécessaire, trouvable gratuitement sur les différents magasins mobiles afin de tester sa compatibilité avant d’acheter le jeu. Si, comme moi, vous aimez vos sessions longues, pensez à prendre un chargeur de téléphone avec vous, parce que la batterie de mon smartphone récent y passait presque en totalité à chaque partie de plusieurs heures.
Un autre potentiel obstacle, et les amoureux de jeux de rôle et de société l’ont probablement déjà vu venir à des kilomètres : réunir le groupe de joueurs en un seul endroit, en même temps et régulièrement. Évidemment, le studio Secret Door, à l’origine de Sunderfolk, a pensé à ça et permet de jouer à distance via un partage d’écran, tout du moins sur PC, via Discord ou Steam Remote Play Together. Il n’est en effet pas nécessaire que tous les joueurs soient connectés au même réseau local pour jouer. Grâce à la magie d’Internet, il est possible de s’amuser avec vos amis qui ont décidé de déménager à l’autre bout du monde pour un an, ou de rester dans la capitale, avec ses loyers délirants, alors que vous avez piteusement déguerpi pour trouver le bonheur dans des contrées plus sensées.
S’il est possible de jouer seul, le jeu a été imaginé pour passer un bon moment avec des copains. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle je n’ai pu jouer qu’après la sortie du jeu, malgré ma clé preview, puisqu’il a fallu trouver des volontaires disponibles pour idéalement venir partager mon canapé. Finalement, nous avons joué à trois joueurs (sur un maximum de quatre), deux en coopération locale et un autre à distance.
Le prix du titre reflète cette philosophie en étant fixé à 49,99 €, comme le serait un jeu de société, pouvant potentiellement être partagé entre les différents joueurs puisqu'un seul exemplaire est nécessaire. La note reste cependant assez salée pour qui voudrait y jouer seul.

Je vais continuer un peu sur l’aspect technique avant de vous parler plus du jeu parce que ça représente une partie assez importante de l’expérience. Très régulièrement, les joueurs qui n’avaient pas leur smartphone connecté sur le même réseau local que le PC faisant tourner le jeu (et qui étaient donc à distance ou qui utilisaient leur réseau mobile plutôt que le Wi-Fi) se faisaient déconnecter. Ces incidents demandaient expressément de relancer le jeu pour que la reconnexion soit possible et survenaient toutes les vingt à trente minutes. Évidemment, les câbles Internet de mon quartier ont été vandalisés il y a quelques semaines et je tourne actuellement avec une clé 4G au débit ridicule, me forçant à faire des manipulations tout à fait reloues à chaque lancement du jeu pour que tout fonctionne correctement avec la configuration de mon matériel. La mise en place initiale fut donc une grosse galère (plutôt due à ma situation personnelle), saupoudrée du problème récurrent de déconnexion, ajoutant une note amère à l’expérience. Le problème a déjà été remonté et les équipes de développement bataillent pour régler ce souci qui devrait, on l’espère, bientôt disparaître. Maintenant que vous savez dans quoi vous vous embarquez techniquement, parlons du jeu en lui-même !
La Ferme des animaux
D’abord, le contexte narratif : nous incarnons les gardiens d’un village d’animaux plus ou moins anthropomorphes, bâti sous la terre après une catastrophe ayant conduit les habitants de la surface à se trouver de nouveaux lieux de vie. La bourgade est éclairée grâce à un arbre massif qui supporte un cristal lumineux tout aussi volumineux. Un jour, une escouade d’ogres belliqueux s’en prend au village et à son cristal et il est temps pour nos héros d’enquêter sur les raisons de cette attaque.

Les petites mains de Secret Door sont aussi amatrices de jeux de rôle et de société, ce qui est évident lorsqu’on joue à Sunderfolk. Si vous avez pratiqué Gloomhaven, qui possède d’ailleurs une version numérique, ou un jeu proche, vous savez déjà jouer à Sunderfolk. Si ce n’est pas le cas, permettez-moi de rapidement vous expliquer la boucle de gameplay. L’aventure est fragmentée en deux parties : la gestion des personnages et du village, puis les combats.
Les combats, prenant la majeure partie du temps, vous placent sur une grille hexagonale affichée sur l‘écran principal et vous invitent à résoudre différents objectifs. Pour contrôler un personnage, vous devez utiliser une de ses cartes affichées sur le smartphone, et en résoudre les effets. Ainsi, une carte peut vous donner un certain nombre de cases de déplacement, la possibilité d’attaquer à une certaine valeur de dégâts et depuis une certaine distance, ou d’autres effets pour manipuler le terrain ou les personnages alliés et ennemis présents. Lorsque tous les héros ont utilisé une carte, à tour de rôle et dans l’ordre de leur choix, c’est au tour de tous les ennemis d’en faire de même. La plupart d'entre eux n’ont qu’une seule carte et sont donc prévisibles, là où les joueurs en ont trois au début de l’aventure. Une exception à ce schéma réside dans les combats mettant en scène des boss qui ont plusieurs cartes différentes et jouent entre chaque carte de joueur, poussant à réfléchir davantage à l’ordre de jeu de l’équipe.

Sur l’application smartphone, on trouve également tout un tas de détails sur l’environnement qui nous entoure durant le combat, comme la totalité des tuiles hexagonales et leurs effets, les ennemis présents et leurs cartes, etc. Elle nous permet aussi d'accéder à notre inventaire, nos compétences et à l’historique des actions effectuées par l'ensemble des protagonistes.
L'agence touriste
Une équipe se compose de deux à quatre héros et la composition peut varier suivant certains critères qui semblent un peu arbitraires. Tous les personnages sélectionnés au démarrage d’une campagne sont définitifs et ne pourront en être retirés. S’il n’y en avait pas quatre lors de la création, on peut en ajouter puis retirer d’autres pendant l’aventure, sur les emplacements libres. Cela n’est expliqué nulle part, à part sur des forums Steam, et ça incite à ne commencer la campagne qu’avec deux personnages, le minimum requis, puis à ajouter les autres ensuite si on veut essayer des héros différents au cours de son voyage. Un joueur peut contrôler plusieurs protagonistes afin de jouer seul, ou remplacer un autre joueur absent lors d’une session de jeu. Par ailleurs, on peut ne jouer qu'une partie des personnages de la campagne, là encore en cas d'absence de joueurs.

Votre équipe va gagner en expérience au fur et à mesure des combats et très régulièrement monter en niveau, débloquant de nouvelles capacités et des emplacements de compétences ou d’objets. Cependant, la taille de votre main de cartes restera limitée, même si cette limite augmente un peu au fil du temps, vous forçant à choisir les compétences qui vous conviennent, ou à expérimenter un peu autour de différentes cartes. L’expérience est partagée entre tout le groupe et l’ajout ou le retrait d’un personnage n’impacte donc pas leur progression, même si certains rapport de bugs témoignent de quelques soucis potentiels, notamment liés à la taille de la main.
Si les six personnages disponibles représentent des archétypes très classiques pour ce genre de jeu (guerrier, archer, voleur, barde, etc.), leurs visuels animaliers apportent un peu de nouveauté et leurs cartes, toutes uniques, créent de fortes identités en termes de caractérisation et de gameplay. Notre fine équipe de trois héros était donc constituée de Cornichon, l’imposant ours guerrier, Zorastroa, le sage corbeau arcaniste et Flamby, l’adorable salamandre pyromancienne.
Un vrai jeu de drôles
Une des forces et influence du jeu de rôle que l'on retrouve dans Sunderfolk est sa propension à nous laisser nommer tout un tas d’éléments, nous permettant ainsi de participer à la création de l’univers commun. S’il est plutôt standard de nommer ses personnages, il est ici possible de baptiser les différents bâtiments du village, plusieurs ennemis, nos armes, voire même des plats servis à la taverne, au fur et à mesure de l’aventure, chaque joueur recevant à son tour sur son téléphone une telle proposition. Par contre, le gros point noir est que chaque nom possède une limite de douze caractères, ce qui est d’autant plus frustrant lorsqu’on vous demande de renommer une compétence dont le nom par défaut en possède vingt. Dès qu'on veut faire une modification, on est ramené à la limite de douze et seul un retour au nom par défaut permet d’avoir un nom long. C’est un détail mineur mais j’ai trouvé ça agaçant à chaque fois qu’on m’a proposé de renommer un élément du jeu. C’était malgré tout un grand plaisir de voir Cornichon tabasser des Moisiduku avec l’aide de son PNJ allié Doliprane, après une visite à la Tataverne.

Une autre influence incontestable du jeu de rôle est le personnage jouant la guide, meneuse du jeu qui nous narre l’histoire, décrit les scènes et interprète la totalité des PNJ. Si mes camarades de jeu n’ont initialement pas été emballés par la sensation de qualité “cheap” qui en ressortait, à avoir la même doubleuse pour tout le jeu (au point de me demander de passer le titre en version originale pour voir s’il y avait un changement, qui n’a pas eu lieu), j’ai trouvé ce choix fantastique, nous rapprochant de l’expérience du jeu de rôle, où un joueur tient effectivement ce rôle de narrateur et donne voix aux différents PNJ. L’avantage ici est que la doubleuse est une professionnelle de la discipline et les voix des différents personnages, même si elles sont interprétées par la même personne, peuvent grandement varier (mention spéciale aux petits champignons qui sont absolument géniaux). Nous ne sommes donc pas sur les standards du jeu de rôle dans notre salon mais on se rapproche plus du jeu de rôle de spectacle, à l’instar de Critical Role et consorts. Mon expérience se base principalement sur la voix anglaise mais notre expérience initiale avec la voix française était, à mon sens, de très bonne qualité.
D’ailleurs, ça fait plaisir de voir un titre qui bénéficie d’une traduction française et d'un doublage de qualité, ce qui se fait assez rare sur les jeux auxquels je joue. Globalement, il semblerait que Sunderfolk ait bénéficié d’un budget plus conséquent que ce à quoi je m’attendais au début, compte tenu de la petite campagne de pub et l’aspect un peu niche du titre. Avec un nombre d’avis sur Steam ne dépassant pas les 500 à l’heure où j'écris ces lignes, et même si cette donnée ne représente pas parfaitement les volumes de ventes, je crains que Secret Door ne rentre pas dans ses frais de sitôt. C’est fort dommage, parce que ce serait avec un immense plaisir que je jouerais à une nouvelle campagne.

Parlons justement de cette campagne ! Divisée en trois actes de trois chapitres chacun, on peut partir à la découverte des Sunderlands et de ses habitants, les Sunderfolks, le long d’une vingtaine d’heures de jeu, ce qui est probablement la bonne durée pour un titre de ce genre.
Lors de chaque chapitre, on nous propose de jouer une mission de combat faisant avancer directement l’histoire, puis on a le choix entre différentes missions demandant d’accomplir différentes tâches pour aider notre village ou nos alliés. On peut choisir de jouer deux de ces combats secondaires, dans une liste de trois ou quatre à chaque chapitre. Chaque mission est unique dans son level design et son histoire, ne donnant pas l’impression d’être devant un rembourrage procédural fade mais plutôt une aventure méticuleusement fabriquée.
Les différentes missions se démarquent par leur type (casse-tête, survie, exploration, etc.), chacun associé à des objectifs différents. Si ces derniers ne sont la plupart du temps pas révolutionnaires, ils donnent cependant une variété qui ne rend pas les combats répétitifs puisque “tuer tout le monde” est rarement le but à atteindre. Cependant et c’est là qu’on s’approche plus du jeu de société que du jeu de rôle, toutes les missions consistent en du cassage de bouches en bonne et due forme. S’il y a plusieurs objectifs consistant à aider des alliés ou à déplacer des objets, le verbe principal du jeu reste “attaquer”. Pas de conflit à la résolution diplomatique d’un jeu de rôle, ou de chemin alternatif dissimulé. Ici, on castagne.

Protégeons les Arden
Toutefois, l’autre partie importante du jeu dont je n’ai pas encore parlé se déroule dans notre village, Arden. Au sein de notre refuge, on trouve différents bâtiments pour faire ses emplettes, changer les couleurs de ses personnages, s’envoyer des objets ou de l‘argent d’un héros à l’autre et, surtout, discuter avec les habitants. Pour moi, la partie la plus inattendue du titre se trouve dans la causette avec nos camarades villageois et alliés.
Lors de ces phases, le village est généralement représenté sur l’écran principal en vue globale et modélisé en 3D. Chaque joueur a, sur son smartphone, une carte du village avec les différents bâtiments pour ses achats personnels et les personnages disponibles pour discuter. Chacun possède une limite au nombre de discussions possibles et va individuellement parler à tel ou tel voisin. Ainsi, chaque joueur choisit avec qui il passe son temps, à qui il veut adresser la parole et avec quels villageois il désire se lier d’amitié. En effet, les discussions donnent vie aux différents personnages et proposent des choix permettant de monter ou descendre dans leur estime. J'ai trouvé ces parties très bien écrites, donnant des personnalités tantôt attachantes, tantôt agaçantes à l’ensemble du village, même Chirp, la chenille qui ne s’exprime qu’en disant “chirp”. Au fur et à mesure de l’aventure, on découvre de nouveaux personnages qui passent par notre village pour tailler le bout de gras, donnant d’autant plus de possibilités de connaître un peu tout le monde ou de ne bien connaître que certains alliés.

D’ailleurs, notre village fourmille de vie et on se surprend à reconnaître les villageois en train de se promener ou de monter la garde à divers endroits. Cependant, si on regarde d’assez près, on se rend vite compte que l’environnement est fait pour être vu de loin. En effet, lorsqu’on améliore un bâtiment, on a le droit à un zoom sur celui-ci et on peut admirer le manque criant de détails des textures et les habitants qui marchent en volant au-dessus du sol ou en glissant dans les escaliers. C’est fort dommage, parce que si le jeu n’est techniquement pas dingue et semble pouvoir tourner sur une patate (comme la Switch), il en dégage une identité visuelle tout à fait sympathique à l’exception donc de notre chez nous qui peut parfois être très moche vu de près.
Les illustrations sont par contre irréprochables. Chaque personnage possède plusieurs variations d’émotions, à l’instar d’un visual novel, et leurs silhouettes affichées lors des dialogues sont superbes pour montrer les états d’esprit et les personnalités. Il en va de même pour les illustrations des cartes de compétences qui sont très jolies, même si on ne les voit malheureusement qu’en tout petit petit petit sur nos smartphones ou sur l’écran principal lorsqu’un camarade en joue une.

Initialement sceptique quant au besoin de devoir utiliser un smartphone pour jouer à mon jeu sur PC, j’ai trouvé son intégration très bien ficelée. En plus de nous permettre d’avoir chacun nos choix de discussions et de personnalisation de nos protagonistes, l’application nous envoie parfois un message qui ne s'affiche que pour nous lorsque notre héros s’approche d’un élément de l'environnement, ou qu’il se fait attaquer par un ennemi particulier, pour lui donner une courte description. Cet ajout donne une dimension supplémentaire aux parties en coopération locale et justifie l'achat de ce titre, pendant que notre pile de la honte, constituée des jeux de société qu’on a achetés compulsivement mais auxquels on ne joue jamais, nous regarde en pleurant silencieusement.
Au moins, cette fois, grâce au tutoriel servi à tout le monde, il n’y a pas besoin de se taper un livret de règles de vingt ou trente pages pour ensuite devoir tout régurgiter à un groupe de trublions qui se préoccupe plus de jouer avec le matériel de jeu, regarder son téléphone, ou discuter avec les camarades pendant que vous tentez désespérément de les convaincre que c’est important de se facir une heure d’explication de règles et que, si, vous allez vous amuser, merde ! Enfin… hypothétiquement, bien sûr.
Du reste, j’ai le bon goût de ne pas avoir d’enfants mais il semblerait que ce soit assez peu répandu si j'en crois tous les gens autour de moi qui utilisent leurs chiards comme excuse pour ne pas venir jouer avec moi. Je vais tout de même dire que je pense que c’est une bonne porte d’entrée pour le jeu de rôle et de société, parfois assez complexe pour les adolescents, voire de plus jeunes enfants. La partie mécanique demandera peut-être pas mal d’accompagnement si vos gamins sont jeunes, et il vous faudra un téléphone par personne. Rappelons qu’un parent responsable ne doit pas laisser un smartphone à son enfant mais peut-être avez-vous de vieux modèles qui traînent quelque part.
La trame scénaristique est tout à fait compatible avec la jeunesse. Sans être enfantine, sa description de la violence ne me semble pas plus intense que ce qu’on trouve partout ailleurs. Des enfants passeront probablement à côté des références au colonialisme, à l’identité sexuelle et ses conséquences, ou les blagues sur les lapins, mais comme dans tout bon film d’animation, il y a plusieurs niveaux de lecture pour chacun.
Malgré la présence de quelques bugs plus ou moins gênants, Sunderfolk est une franche réussite et l’aventure m'a enchanté et clairement donné envie d’y jouer plus dans le futur, que ce soit via l'ajout de contenu ou en recommençant la même campagne dans un niveau de difficulté plus élevé avec d’autres personnages. C’est mignon, drôle, attachant et mécaniquement intéressant. Invitez vos amis chez vous et jouez-y !