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Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
TEST

Dicey Dungeons, un concept 1D100

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Terry Cavanagh
Support : PC
Après un retard à l’allumage entièrement de notre fait, on a enfin pu passer quelques heures sur la version finale de Dicey Dungeons. En early access depuis un an, le dernier-né de Terry Cavanagh (Super Hexagon, VVVVVV) nous faisait de l'œil depuis son annonce. Pensez-donc : un roguelite qui se joue avec des dés, il y avait de quoi faire frétiller les fans d'Isaac, Dead Cells et autres Slay the Spire. Sans compter la présence à la composition de Chipzel, surdouée de la chiptune derrière de géniales BO (Interstellaria, Super Hexagon, Octahedron) et des albums mémorables (Spectra, Poetic Symphony, Disconnected). De quoi augmenter les chances au tirage.
Parce qu'il faut souvent une justification rationnelle aux idées les plus étranges, Dicey Dungeons dispose d'un embryon de scénario. La très cynique Lady Aléa présente un spectacle au succès phénoménal : des candidats et candidates, motivées par l'appât du gain, s'y retrouvent changées en dés, projetées sur des plateaux de jeux remplis de monstres, et doivent progresser jusqu'au plateau 6 où les attendent des boss. En cas d'échec, on meurt. En cas de succès, on gagne... le droit de recommencer. On est dans un roguelite, après tout.


On vous mets la BO, pour la couleur émotionnelle du test.

La bataille de mon dé au casino

Initialement seul sur le projet à l'époque où l'alpha était gratuitement disponible sur itch.io, Terry Cavanagh avait fait le choix de l'early access pour se payer les services de gens capables de rendre le jeu visuellement et auditivement chatoyant. Côté sonore, on l'a vu, il a à nouveau fait appel à Chipzel, dont les rythmes entêtants avaient magnifié l'expérience  de flow typique de Super Hexagon. Mais oubliez tout ce que vous connaissez de Chipzel, car si tout est numérique et que les beats du chip sonore de la/le Gameboy sont toujours là, il s'agit sans aucun doute d'un tournant, ou au moins d'une sacrée respiration dans la carrière de la Britannique. L'ajout de rythmiques un poil plus douces, parfois exotiques, couplé à une utilisation massive de cuivres (principalement du saxophone, mais aussi des trompettes et des trucs qui ressemblent à du tuba ou du trombone) ainsi que des compositions moins répétitives, a de quoi surprendre. Mais l'efficacité est redoutable, et tandis que certains thèmes sont (volontairement ?) plus en retrait, comme les cartes de niveaux ou la fanfare de victoire, on passe souvent les combats à dodeliner de la tête avec un sourire béat. On peut regretter cependant que le sound design, très vite redondant et pas toujours très heureux, vienne de temps en temps un peu gâcher la fête, mais rien de catastrophique.



Côté visuel, c'est Marlowe Dobbe, une artiste et animatrice de Portland, qui permet à Cavanagh d'abandonner son pixel art placeholder un peu feignant pour donner une identité plus marquée au jeu. Avec ses traits épais et ses aplats de couleurs brossées, la direction artistique dégage une impression de fausse naïveté parfaitement dans le ton du scénario. Les ennemis n'étant pas là pour faire peur ou impressionner, mais plutôt faire rire ou attendrir, ils sont un charmant mélange entre des designs classiques de dungeon crawler et des héros de BD pour enfants. Ce hérisson a beau être une plaie à combattre à cause de ses multitudes d'attaques de faible puissance, il n'en reste pas moins un "Rhumisson", la morve au nez et les larmes aux yeux parce qu'il est "allergique aux donjons", le regard tremblant et les cris de douleur attendrissants. De la sorcière instagrameuse à la poterie vivante, de la grenouille équipée d'une épée plus grosse qu'un bœuf à un homme stéréo, de la flamme qui se protège avec un parapluie au bébé calmar, le bestiaire est rempli de monstres tous plus stupides et mignons les uns que les autres. Et on vous passe le design et les expressions des dés. Tout est charmant, et c'est incontestablement une grande réussite du titre.

La gloire de mon pair

Depuis le départ, on qualifie Dicey Dungeons de roguelite avec des dés. Mais une fois pris en main sur la durée, les choses sont un peu plus compliquées que cela. Certes, on y progresse d'étage en étage en affrontant des monstres, puis un boss à la fin. Certes, on déniche des items et on gagne de l'expérience tout au long du parcours, pour améliorer ses capacités, diversifier son inventaire et créer des synergies entre ses actions. Les combats sont au tour par tour, à chaque début de tour on jette ses dés, et en fonction du tirage on peut les dépenser dans des cartes d'actions (attaque, défense, buff, débuff...), quand on tombe à court de dés ou de cartes jouables c'est au tour de l'ennemi, puis on reprend la main. Sur le papier, rien que du très classique. Mais là où un Isaac, un Dead Cells ou un Slay the Spire ressemblent à de gigantesques boîtes de Lego dans lesquelles on tire des blocs au hasard en croisant les doigts pour tomber sur quelque chose d'utile à la run spécifique qu'on est en train de jouer, Dicey Dungeons est beaucoup plus condensé. Et ressemble en fait à un dungeon crawler à scénario, avec seulement une légère pointe d'aléatoire.



En début de partie, on choisit un personnage parmi 6, un scénario parmi 6, et sur la base de cette configuration de départ le jeu construit une run avec très peu de variables. Seules quelques cartes d'action peuvent apparaître pour un personnage donné. Cela ne veut pas dire qu'il n'y pas de variantes possibles, ni quelques excellentes surprises qui peuvent surgir quand on ne s'y attend pas (la première fois qu'on se transforme en ours est une expérience assez sympathique), mais le jeu s'impose des contraintes de contenu pour maîtriser son équilibrage et son challenge.  Un parallèle pertinent pourrait être celui de Thronebreaker : sur la base assez permissive du Gwent, le jeu de CDProjekt multipliait les petits scénarios à contraintes et objectifs précis. Dicey Dungeons ressemble un peu à ça : quand on choisit par exemple le scénario du Guerrier où l'on perd 2PV à chaque gain de niveau, il n'y a pas des dizaines de façons de jouer sa run : il faut limiter les combats pour gagner le moins d'XP possible. A chaque situation de départ sa façon de jouer. Au lieu de retourner toute la boîte devant vous, le jeu vous offre une poignée de blocs précis et vous demande de construire la meilleure, et possiblement la seule, tour possible. Ce qui ne veut pas dire que tout ça est inintéressant ou facile, bien au contraire : on meurt souvent et on y retourne à chaque fois pour enfin comprendre comment maîtriser chaque personnage et passer tel scénario précis. Parce que s'il n'y a pas beaucoup de variété dans la façon de finir une run donnée, les situations de départ sont nombreuses.

Les dés manageurs

Les six personnages sont tous uniques, se débloquent au fur et à mesure et par ordre de difficulté à maîtriser. Le Guerrier, personnage de base, commence avec une carte d'attaque et la capacité de relancer un dé trois fois. Le Voleur dispose d'une dague qui fait peu de dégâts mais est réutilisable indéfiniment, peut casser un dé en deux (si on place un 4 dessus, on récupère aléatoirement un 3 et un 1 ou deux 2), et d'une carte d'action volée aléatoirement à l'ennemi à chaque tour. Malgré des cartes actions classiques, le Robot se joue d'une façon radicalement différente : il faut tirer un dé après l'autre, et leurs résultats font grimper une jauge de CPU (si on tire un 4, la jauge se remplit de 4), et c'est comme pour le Blackjack : si on remplit pile poil la jauge c'est le jackpot (on a le droit à une action bonus), si on la dépasse tout est perdu pour ce tour et on passe la main à l'ennemi. L'Inventrice démarre avec trois cartes d'actions, mais c'est anecdotique car sa spécificité c'est qu'elle recycle obligatoirement, à la fin de chaque combat, une de ses cartes en un gadget (une action gratuite), vidant en permanence son inventaire pour créer de nouveaux gadgets. La Sorcière dispose d'un grimoire, dans lequel on va ranger les cartes actions qu'on trouve comme autant d'incantations. Admettons que vous ayez rangé une action de soin dans l'emplacement "3" du grimoire, il vous faut alors dépenser un 3 pour pouvoir le disposer sur le plateau. Dernier personnage à dénicher, le Fou dispose d'un deck de cartes actions, qu'on remplit au fil de la run et dans lequel on pioche trois cartes à chaque tour.



Et si on a pris le temps de détailler chaque personnage, c'est parce qu'aucun ne se joue de la même façon. C'est précisément pour ça que Dicey Dungeons ne lasse pas, en tous cas pas aussi vite qu'on le craignait après quelques parties avec le Guerrier. A chaque nouveau personnage, il faut réapprendre à jouer d'une nouvelle façon, et c'est alors que la construction étriquée et l'aléatoire très contraint du game design apparaissent comme des évidences. Le jeu restreint ses possibilités, pour son propre bien et pour le nôtre, et tout ça fleure bon l'équilibrage fait main, lentement affiné au fil de l'early access. L'Inventrice, par exemple : puisqu'elle consomme une carte de son inventaire à chaque fin de combat, pour crafter un nouveau gadget, les niveaux sont principalement remplis de coffres permettant de récupérer suffisamment de cartes pour tenir le rythme. Et si le côté très mécanique de la chose vous inquiète, pas de panique, Dicey Dungeons a d'autres arguments, à commencer par les ennemis.

6-6, impair, matrice

On a déjà mentionné leur look improbable lorsqu'on a parlé de la direction artistique, mais tout ceci est évidemment au service du gameplay et sert d'indication visuelle. Un yéti craint le feu, une sorcière résiste au poison, l'homme stéréo craint l'électricité... En plus de son style, chaque ennemi dispose d'une panoplie de coups qui lui sont propres, limitant la redondance des combats. Il faut s'adapter, changer de stratégie, éviter certains ennemis si on peut le faire, car se lancer à l'assaut d'un monstre avec le mauvais équipement équivaut à un suicide, immédiat ou lors du combat suivant. Puisqu'on ne récupère sa vie qu'en grimpant de niveau (6 niveaux maximum, évidemment), en ramassant des pommes ou en en achetant à la marchande si elle en a, la progression dans le donjon ressemble à une course de fond où il faut soigneusement calculer le parcours et les ravitaillement. Et on ne vous parle même pas des mini-boss parfois présents à l'étage 5, et des boss de l'étage 6, de sacrés challenges sacrément bien pensés. On en vient même parfois à regretter de ne pas pouvoir jouer un ennemi tant leurs panels d'actions sont cools.



Enfin, au cœur de chaque combat, on retrouve l'adrénaline de la gestion du risque, composante essentielle de tout bon roguelite qui se respecte. L'aléatoire est finalement assez limité : une chance sur six qu'un dé donne un résultat satisfaisant, c'est un taux relativement élevé pour un jeu du genre. Il est beaucoup plus question de tactique, de stratégie. Car ce qu'on n'a pas encore expliqué, c'est que les cartes d'actions n'acceptent pas toutes n'importe quel dé. Parfois il faut un dé pair ou impair, parfois il y a une valeur minimale ou maximale, parfois certaines cartes doivent être chargées en y ajoutant des dés au fil des tours jusqu'à atteindre le bon montant. De plus, l'inventaire est limité en taille : six cases, chaque carte prenant une ou deux cases. Parmi toutes les cartes d'action qu'on va récupérer, il va donc falloir faire un tri, en fonction de leurs tailles, effets et conditions d'utilisation. Les cartes non utilisées étant stockées dans un sac à dos (lui aussi limité, mais assez grand pour tout une partie), on peut réorganiser son inventaire entre chaque combat, en prévision d'un type d'ennemi particulier. Vous avez accumulé des cartes violettes qui empoisonnent l'ennemi mais le chemin vers la sortie est bloqué par un adversaire résistant au poison ? Prenez quelques secondes pour équiper d'autres actions à la place et vous éviter bien du souci. 

Réussite critique

Si on y ajoute toute une flopée de petites subtilités, le jeu devient beaucoup plus qu'une simple succession de scénarios à solution unique. Il  faut essayer, échouer, apprendre, maîtriser. Citons par exemple la barre de limite qui se remplit quand on prend des dégâts et permet de déclencher une action spécifique à chaque personnage (le Guerrier lance deux fois sa prochaine attaque, le Robot fait automatiquement jackpot, etc.) : il sera parfois intéressant de prendre des dégâts, voire pourquoi pas de se les infliger soi-même, pour atteindre plus rapidement ce "limit break". Par ailleurs, il y a une multitude de buffs et surtout de débuffs : on peut geler un dé (le plus grand résultat est transformé en 1), le brûler (on peut l'utiliser mais en prenant 2PV de dégâts), l'aveugler, envoyer un shock (une carte action est bloquée à moins de dépenser un dé pour la débloquer), une malédiction (50% de chance que la carte et le dé disparaissent quand on veut les utiliser) ou encore réduire au silence (empêcher d'utiliser le limit break et les capacités spéciales), et on n'est pas exhaustif. Chaque tour de combat est un puzzle, lui-même inséré dans le puzzle du combat, lui-même inséré dans le puzzle de l'étage, lui-même inséré dans le puzzle de la run entière. 



Jongler avec tout ça pendant une vingtaine d'heures ne nous a pas encore permis de terminer les 36 scénarios, et s'il est délicat d'estimer la durée de vie globale, les scénarios les plus difficiles demanderont sûrement un bon paquet d'essais avant d'être réussis. Mais on ne se fait guère d'illusion : une fois tous vaincus, et sans ajout de contenu ultérieur, il est peu probable qu'on s'attarde longtemps chez Lady Aléa. C'est un peu la malédiction de Dicey Dungeons, et ce qui nous empêche de le ranger avec certitude à côté des mastodontes du roguelite mais plutôt dans une catégorie à part. Parfaitement et subtilement équilibré, le jeu transpire le fait-main et l'expérience d'un artisan doué, et propose une expérience unique, si unique qu'on l'identifie immédiatement lorsqu'on la revit à nouveau. Puisqu'un même personnage tirera toujours ses cartes dans un pool restreint et qu'il n'existe qu'une poignée de façons de venir à bout d'un scénario, une tenace impression de rejouer en boucle les mêmes parties s'installe, venant ternir légèrement le tableau. Heureusement, pour les plus acharnés, reste la possibilité de débloquer un mode "Remix" mélangeant toutes les règles et objets. Mais en supprimant l'efficacité de la simplicité. On ne peut pas tout avoir.
Moins roguelite, plus répétitif et plus guindé qu'on ne l'imaginait, Dicey Dungeons n'en reste pas moins un excellent jeu. Visuellement charmant, musicalement entraînant, ludiquement entêtant, suffisamment riche en contenu pour nous occuper un moment, le dungeon crawler de Terry Cavanagh  est une belle réussite.

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