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A Plague Tale : Innocence

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Focus Entertainment Asobo Studio
Pendant longtemps, le nom d'Asobo Studio n'a pas vraiment sonné familier aux oreilles du grand public. Non pas que le studio bordelais n'ait rien fait, au contraire : une vingtaine de jeux depuis 2002. Mais que ce soit pour des adaptations de films chez THQ (Ratatouille, Wall-E, Toy Story 3...), des jeux de caisses (Fuel, The Crew...) ou un partenariat avec Microsoft (des jeux Kinect et Hololens, Quantum Break, ReCore...), et en dehors de prouesses techniques qui parlaient surtout aux initié.e.s, l'équipe n'avait guère eu d'espace pour apposer sa griffe. Mais tout ça a changé en 2017, lors d'un What's Next de Focus où Asobo a présenté A Plague Tale : Innocence. Un projet beaucoup plus personnel qui s'est imposé dans le paysage médiatique grâce à un argument massue : des rats par milliers.
Quelque part dans l'Aquitaine de 1348, la jeune Amicia parcourt la forêt avec son chien et son père, le seigneur Robert de Rune. Une séquence didacticiel plus tard, et on comprend que quelque chose de fort peu naturel se cache sous terre. De retour au château, à peine notre héroïne a-t-elle eu le temps de faire le tour du propriétaire que l'Inquisition envahit les lieux, passe tout le monde au fil de l'épée et retourne les meubles pour trouver Hugo, le frère d'Amicia, un bambin souffrant d'un mal étrange et que leur mère, Béatrice de Rune, surprotège depuis des années. Amicia et Hugo réussissent à s'enfuir et se retrouvent ainsi orphelins, jetés sur les routes, traversant villages et campagnes ravagées par la Guerre de Cent Ans et la peste noire, l'Inquisition à leurs trousses, des marées de rats sous leurs pieds. Et pas grand-chose d'autre qu'une fronde pour se défendre.

Ohé, ohé, Aquitaine abandonnée

Durant tout le jeu, on incarnera donc Amicia, cherchant à protéger son très jeune frère de tous ces dangers, avançant de chapitres en chapitres au fil d'une aventure placée certes dans un contexte médiéval historique, mais lorgnant du côté du fantastique. Il y sera en effet question d'alchimie et d'occultisme, l'Inquisition comme Amicia cherchant à mieux comprendre la maladie d'Hugo et son lien avec l'apparition des rats. Toute l'esthétique du jeu est empreinte de cette dimension fantastique, plusieurs séquences n'hésitant pas à mélanger visions d'horreurs organiques à la Alien et exubérances monstrueuses à la Jérôme Bosch, à secouer très fort et à nous plonger dedans jusqu'au cou. Le fait qu'on incarne un binôme où la grande protège le petit évoquera évidemment The Last of Us, ou The Walking Dead, et on verra ensuite que le gameplay pioche lui du côté des Assassin's Creed, mais le fait qu'A Plague Tale remplace la fantasy qu'on accole habituellement au médiéval par du pur fantastique le rend incontestablement unique.



Une forte personnalité portée par une réalisation impressionnante. Bien sûr, on reste dans une production aux moyens limités, un "double-A" comme on disait il y a encore quelques années, et cela se ressent sur des détails visuels (les animations, la végétation, le recyclage des PNJ), quelques chutes de framerate aux mauvais moments ou l'étroitesse des aires de jeu. Mais ce serait cracher dans une superbe soupe tant le travail artistique et technique emporte tout sur son passage : de la colorimétrie aux éclairages, de la composition des plans à l'architecture des bâtiments, de la reconstitution médiévale minutieuse aux excentricités les plus baroques, chaque environnement vaut le coup d’œil, transpire le travail et l'amour des lieux qui l'inspirent, et certains d'entre eux sont même de sacrées jolies baffes. Mieux : pour coller à sa thématique de plongée dans l'horreur des monstres, de la maladie, de la guerre et des hommes, le jeu n'hésite pas à faire des transitions progressives entre saynètes bucoliques et ambiances sombres. On sent une vraie maîtrise de la mise en scène, avec des choix de cadrages, des changements de caméras, des effets visuels et sonores constituant une mécanique de l'angoisse parfaitement huilée. A ce titre, le travail d'Olivier Derivière à la composition est remarquable. La B.O. est déjà disponible sur le net, mais on conseille évidemment de l'écouter en jeu tant chaque morceau semble s'emboîter parfaitement avec la séquence qu'il accompagne.

Rongeurs de gloire

Le scénario est franchement plaisant à suivre, principalement grâce à son rythme soutenu et aux personnages. Le fait d'incarner des humains sans ressources perdus au milieu d'un environnement hostile est certes un gimmick déjà éprouvé ailleurs, mais il reste assez efficace pour nous donner immédiatement envie de les aider. De plus, au fil de l'aventure, d'autres personnages s'ajouteront à l'équipe, tous étant des enfants ou des adolescents dont les parents ou mentors sont morts. Un parti-pris qu'on peut interpréter de différentes façons ("les adultes font n'importe quoi, seuls les enfants peuvent sauver ce monde" ou à l'inverse "on est les Goonies lol"), mais qui permet quoi qu'il en soit de varier un peu les mécaniques narratives : Amicia ne sera pas toujours seule à s'occuper d'Hugo, et mènera souvent des missions en tandem avec d'autres personnages. Permettant ainsi de ne pas trop user le ressort narratif "je dois protéger mon frère" et de tisser dans le feu de l'action des liens avec ces autres enfants. On en profitera d'ailleurs pour souligner la qualité des doublages, en français (quel casting !) comme en anglais.



Et impossible de ne pas évoquer, à nouveau, ces marées de rats qui nous ont tant impressionné à chaque fois qu'on a vu tourner le jeu. Maintenant qu'on a pu les voir de près pendant plusieurs heures (le jeu se boucle en 10 bonnes heures en ligne droite, probablement 2 à 3 heures de plus si vous explorez les niveaux à fond), on comprend un peu mieux les subterfuges qui permettent à Asobo d'en afficher plusieurs milliers à l'écran. Peu importe : jusqu'au bout, l'effet visuel est là. Les rats se comportent comme un fluide grouillant, vivant, une intelligence collective basique où chaque individu obéit à une poignée de règles simples, rendant la meute efficace et terrifiante. Le sound design est à l'avenant, avec des nuées de crissements de griffes et des couinements grimpants dans les aigus quand on approche une torche de la masse. Non seulement c'est très efficace pour garder les joueurs.euses sous tension, mais en plus cela rend extrêmement gratifiantes les mécaniques de gameplay qui utilisent les rats : rien de tel que de piéger un garde au milieu d'une horde et de le regarder se faire engloutir pour se sentir surpuissant.

Lever la fronde

Sur le fond, A Plague Tale s'apparente à une succession de petits puzzles de réflexion/infiltration, dans des zones fermées. En suivant l'histoire et ses chapitres, on nous fixe un objectif (atteindre un moulin, traverser un camp, rejoindre une université...) et pour l'atteindre Amicia va devoir passer au travers d'un chapelet d'obstacles. Lorsqu'il n'y a pas d'humains dans les parages, c'est souvent pour résoudre des puzzles assez classiques, les rats venant pimenter la progression. On pousse des caisses, on tire des leviers, on fait tomber des trucs en tirant dessus à la fronde, on joue avec les sources de lumières, ce genre de choses. Certes, comme on est presque toujours en binôme (soit avec Hugo, soit avec un des autres personnages), il y a bien systématiquement une petite complexité supplémentaire lorsqu'Amicia doit donner les bons ordres au bon moment. Mais rien de bien compliqué, on a même parfois l'impression d'une résolution automatique (la cour du château d'Ombrage où Mélie bouge les foyers toute seule) et on regrettera même qu'il n'y ait pas plus de puzzles utilisant trois (voire plus) personnages, comme celui du moulin à eau.



Quand des gardes sont dans les parages, le jeu devient alors de l'infiltration qui, dans les grandes lignes, rappelle les Assassin's Creed (pour les gardes à moitié aveugles et sourds) mais sans la possibilité de takedown les ennemis. On se cache dans des hautes herbes ou derrière des caisses, on repère la petite routine des gardes, on détourne leur attention en jetant des jarres ou des cailloux pour faire du bruit, on se faufile derrière eux et on recommence avec les gardes suivants. La première poignée d'heures de jeu laisse même craindre de la redondance et de la lassitude, mais fort heureusement Amicia va développer son arsenal petit à petit, quand des PNJ lui apprendront à crafter de nouveaux types de munitions. Allumer des feux, en éteindre, forcer un garde à retirer son casque, attirer les rats à un endroit bien précis... On a même droit à deux items surpuissants (faire disparaître les rats d'une zone et endormir définitivement un garde y compris lorsqu'il est sur le point de vous tuer) mais très coûteux en ressources. Les dispositions de niveaux et la variété des ennemis vont aussi en grandissant, ajoutant au fur et à mesure des gardes lourds, des archers, des chevaliers équipés de boucliers qu'il faudra impérativement contourner, etc. 

Bubons pour le service

Ainsi, et tandis qu'on s'attendait à être contraint d'utiliser tout le temps les mêmes gimmicks de détournement d'attention, on se retrouve progressivement avec des niveaux un peu plus larges, un peu plus peuplés, et un peu plus ouverts à l'expérimentation. Dans quel ordre abattre les gardes ? Avec quelles munitions ? Peut-on trouver un moyen de lâcher les rats sur eux ? Comment utiliser la capacité spéciale de mon coéquipier ? Il faut toujours prendre le temps d'observer les lieux et rester discret, parce qu'au moindre faux pas tous les autres gardes aux alentours rappliqueront pour vous oneshoter. La fronde, par exemple, demande un petit temps de charge pour atteindre sa puissance et sa visée maximale, vous oblige à sortir de votre couvert et fait un boucan de tous les diables. Une fois lancée dans une action, Amicia risque de se retrouver débordée si on n'a pas pensé à "je fais quoi ensuite ?" Il reste possible de prendre ses jambes à son cou et tenter le sprint jusqu'à la sortie du niveau, mais le résultat est aléatoire, d'autant plus que si Hugo ou un de vos coéquipiers se fait choper, c'est game over.



Le jeu utilise d'ailleurs ses mécaniques de loot et de craft pour récompenser les joueurs les plus patients et attentifs. D'une manière générale, même si les niveaux ne sont pas très grands, il y a toujours de petits recoins à explorer avec à la clé des saynètes liées aux personnages, la complétion d'une petite encyclopédie médiévale, et surtout l'accumulation de ressources. Indispensables pour se crafter des munitions à la volée, elles le sont aussi pour améliorer son équipement (réduire le bruit ou le temps de chargement de la fronde, en augmenter la puissance, agrandir le sac de ressources ou de munitions, avoir des vêtements plus discrets, etc.). Parfois, ces ressources sont cachées au cœur des puzzles d'infiltration : on peut contourner ce pack de gardes, mais on peut également tenter de rentrer dans leur ronde pour accéder au joli coffre en plein milieu. On n'aimerait pas lâcher un gros mot comme "Dishonored" parce que les deux jeux ne boxent clairement pas dans la même catégorie, mais on apprécie les efforts pour augmenter l'autonomie et récompenser la créativité des joueurs.euses... en évitant de viser trop haut.

Silence ça tousse

C'est en effet à mettre au crédit du jeu : A Plague Tale ne prétend quasiment jamais être autre chose que ce qu'il est, un jeu narratif visuellement flamboyant mais sans révolution de gameplay. "Quasiment", parce qu'il commet quelques faux pas en allongeant un peu trop certains niveaux ou en dosant mal leur difficulté. Le fait qu'Amicia se fasse oneshoter est certes une nécessité liée à l'histoire et au gameplay. Mais lorsque dans les dernières heures de jeu on bûche en boucle sur une seule petite zone parce qu'elle nécessite une exécution et un timing parfaits, le manque de précision et la lourdeur des contrôles, dont on s’accommodait jusqu'alors, deviennent des obstacles éprouvants, transformant le jeu en un die and retry d'autant moins amusant que les checkpoints ne sont pas toujours très bien placés. Enfin, disons plutôt qu'ils sont souvent placés en début de zone pour permettre une nouvelle approche si nos premières tentatives échouent, mais quand on sur les bons rails mais qu'on meurt malgré tout parce qu'on n'était pas collé au couvert ou que la visée semi-automatique de la fronde s'est lockée sur la tête du dernier garde plutôt que sa lanterne, c'est un poil frustrant de reprendre au début.



Impossible également de ne pas consacrer un paragraphe aux boss. On l'a vu, le jeu privilégie l'infiltration et l'évitement au combat direct, qui se solde presque toujours par la mort d'Amicia. Mais de façon surprenante, l'aventure est rythmée par trois combats de boss. Le premier, assez rapide, n'est pas ébouriffant mais n'est pas désagréable non plus : il sert surtout à nous montrer qu'on va parfois devoir tuer pour protéger Hugo. Bien plus tardivement, on affronte un des gros bras de l'Inquisition et il s'agit alors d'apprendre une nouvelle capacité. Plus long et plus technique, il met malheureusement en lumière la difficulté du jeu à faire cohabiter, dans une même séquence et de façon fluide, toutes ses mécaniques de jeu : il faut activer des scripts et jongler avec différents types de munitions dans une arène fermée, tout en se faisant courser par un chevalier en armure qu'il faut impérativement semer parce qu'il doit baisser sa garde. Le combat final souffre un peu des mêmes problèmes, avec un vrai souci de précision renforcé par le fait que les patterns du boss génèrent des aires d'effets au sol et qu'il suffit malheureusement d'avoir un orteil dedans pour tout recommencer depuis le début. En plus de ça, il utilise -évidemment- des marées de rats, dont l'impact avait déjà été amoindri par un twist scénaristique au deux-tiers du jeu, et qui deviennent ici presque ridicules, ou en tous cas grotesques.

Conteur Giger

On citera également quelques étrangetés narratives qui pourront dérouter. L'histoire devient ainsi un peu moins captivante à suivre une fois révélée la nature de la maladie d'Hugo et son lien avec les rats, surtout que les explications sont à la fois très explicites et alambiquées. On bascule alors sur une course en avant effrénée pour damer le pion à l'Inquisition, ce qui donne certes de sacrés niveaux (les geôles) mais aussi d'étranges rebondissements. Tout le milieu du jeu est une quête d'un macguffin lié à Hugo, et une fois réalisée on se rend compte qu'elle a juste permis de rallonger la sauce pour éviter d'arriver trop vite à la fin. On avoue également n'avoir pas trop compris le fin mot de l'histoire. Il est d'ailleurs étrange que le personnage d'Hugo, et notamment une fois passé le twist de milieu de jeu, semble aussi lisse face aux événements qu'il subit. C'est un enfant qui veut sa maman et pique des colères, et puis d'un coup on a beaucoup de mal à le cerner. On citera également de larges ellipses, qui permettent évidemment de maintenir un rythme certain, mais rendent l'évolution d'Hugo difficile à comprendre. Certains rebondissements narratifs en deviennent même très étrange, comme l'attaque du château d'Ombrage dont on comprends mal la motivation, les modalités et le dénouement.



En fait, tout se passe comme si la première moitié du jeu présentait une histoire et des décors captivants avec un gameplay anecdotique, puis que progressivement l'impact narratif du jeu décroissait en même temps que les ambitions du gameplay s'élargissent. Mais, paradoxalement, tout ceci ne ternit pas notre appréciation globale de l'expérience, somptueuse de bout en bout. A Plague Tale est beau, son cadre est original, son ambition esthétique est unique et rien que ces aspects-là motivent à avancer pour découvrir un nouveau panorama séduisant venant remplir encore plus un dossier de screenshots qui débordait déjà après une poignée d'heures. Et le jeu n'hésite pas à utiliser à fond son meilleur argument, notamment en nous faisant revisiter certaines zones une deuxième fois, pour mesurer l'impact des rats sur l'environnement. La capacité du studio à gérer les ambiances et les transitions entre celles-ci reste assez incroyable, et crée beaucoup de moments mémorables. Et même si on s'avoue un poil déçu par Hugo, Amicia est un personnage attachant qu'on prend plaisir à incarner, et fierté à voir triompher des épreuves.
Certes, A Plague Tale hoquette un peu sur la longueur. D'abord visuellement et narrativement fascinant malgré un gameplay discret, le jeu tente de prendre de l'ampleur, parfois avec réussite et parfois maladroitement, trébuchant sur un ou deux écueils. Mais quelle ambiance ! Le jeu d'Asobo Studio est une solide aventure qui semble unique en son genre, à la réalisation somptueuse et aux idées de mise en scène efficaces, portée par le personnage d'Amicia. On en ressort avec les yeux qui brillent et l'envie de voir Asobo continuer sur cette voie.

SCREENSHOTS

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