Connexion
Pour récupérer votre compte, veuillez saisir votre adresse email. Vous allez recevoir un email contenant une adresse pour récupérer votre compte.
Inscription
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation du site et de nous vendre votre âme pour un euro symbolique. Amusez vous, mais pliez vous à la charte.

Un Rédacteur Factornews vous demande :

ARTICLE

Les règles du jeu : violences symboliques et commerciales dans le jeu vidéo.

kimo par kimo,  email
 

Jeu et marché.

Chaque jeu vidéo peut donc constituer une gigantesque machine à addiction, surtout s’il refuse d’organiser sa propre fin, que ce soit par la défaite ou le triomphe du joueur. L’injonction paradoxale du jeu n’est-elle pas de le piéger dans un espace virtuel avant de lui donner les moyens de s’en sortir ? Justement parce que sa forme virtuelle permet de simuler un infini auquel nous pourrions perpétuellement soumettre nos actes. Or, dans les modèles les plus cyniques, le but est bien de maintenir le joueur le plus longtemps possible dans la consommation du produit, afin de lui en vendre un peu plus. Les licences fonctionnent souvent sur ce principe qui consiste à tenter de revendre un même produit avec la promesse illusoire qu’il y retrouvera le premier frisson, et même en mieux[1]! Les DLCs, qu’on peut parfois acheter directement ingame, participent d’une manière plus perverse à l‘offre permanente de nouveaux désirs. Ils ne se rapprochent jamais tant du modèle des narcotiques que lorsqu’ils proposent des bonus de puissance au joueur sous la forme d’expérience ou d’or acheté directement contre de l’argent. Dans le virtuel, le sentiment de puissance et de bien-être peut se vendre.
 
Le but de ce système est alors de trouver les moyens de vendre au joueur quelque chose qui comble symboliquement un désir inépuisable. Le plus simple est de créer artificiellement des paliers de reconnaissance au sein de l'objet auxquels le joueur va souscrire de lui-même. Il est édifiant de réfléchir à l’asservissement de celui-ci à des mécaniques temporelles contraignantes type Farmville. Ces jeux le poussent à se connecter régulièrement pour récolter ce qu’il a semé afin de planter plus, pour semer plus, pour planter plus[2]… Payer permet simplement de se débarrasser de la contrainte temporelle qui constitue pourtant la seule difficulté du jeu. Car tout le monde peut bien jouer dès lors qu’il suffit d’attendre et de se connecter souvent : pour mieux jouer il faudra simplement y passer plus de temps, ou dépenser de l’argent. On voit très bien poindre l’idée d’un chantage temps contre argent[3] qui sous-tend ce système de consommation permanente.
Le jeu n’ayant pas de fin à proprement parler, on peut y investir autant de temps et/ou d’argent que l’on veut.
 
Dans des jeux plus traditionnels, comme Diablo 3, on convainc aussi le joueur d’accomplir des tâches répétitives pour une récompense (des items ou de l’argent ingame). La valeur de celles-ci est artificiellement créée par le développeur lui-même. Mais c’est seulement le désir des joueurs qui peut faire atteindre à ces objets des valeurs considérables d’argent réel[4]. Farmer[5] – et le terme même devrait nous rappeler quelque chose - de l’or virtuel et des objets pour la revente est ainsi devenu un travail dans certains pays[6], là ou d’autres le font gratuitement tous les jours et appellent ça un jeu. Reste à savoir si ce système profite vraiment au joueur, dont le désir est instrumentalisé pour créer une valeur marchande dont peu profitent, ou alors aux dépens des autres[7].

 
Cette simple équation devrait suffire à nous rappeler que le temps, c’est bien de l’argent, et on comprend mieux ici l’intérêt que peut avoir un jeu à nous maintenir des heures à farmer ou à passer un niveau. En effet, si son but premier était de permettre au joueur de monter et d’expérimenter un build[8] efficace en endgame[9], pourquoi lui infliger un leveling de centaines d’heures répétitives et laborieuses ? En réduisant ce temps à quelques heures, celui-ci pourrait même profiter plus encore du jeu, en multipliant les personnages et en approfondissant le metagame. Si ce qui différencie les bons des mauvais est la qualité du build et la capacité à l’optimiser, pourquoi y ajouter la contrainte d’un investissement de temps disproportionné qui n’est finalement d’aucune utilité ludique au joueur ? Justement car c’est le seul critère qui permet d’assurer la rareté des objets, et donc leur valeur marchande, ou à défaut symbolique, capable de fixer son désir et donc, de le faire jouer des heures durant.

Une occupation.

Mais on peut également sortir de cet axiome purement économique et poser une question similaire pour un bon nombre de jeux qui utilisent un système de leveling. Les RPGs en sont l’exemple typique, mais les FPS en ligne ou l’open world fonctionnent sur des principes proches. Dans certains cas, l’expérience peut même être remplacée par de l’argent virtuel, nous rappelant malgré tout la nature invariablement économique temps/argent de leur fonctionnement. Car ces systèmes vont parfois bien au-delà de la simple mécanique nécessaire à l’équilibre et à la progression du jeu. Souvent, au contraire, ils servent de motivation à un gameplay redondant ou peu intéressant. Difficile de nier qu’un grand nombre des combats d’un RPG ne servent qu’à engranger la précieuse expérience. La plupart d’entre eux ne sont ni difficiles, ni particulièrement intéressants mais par contre souvent extrêmement nombreux et répétitifs[10]. En échange d’un don conséquent de temps (on ne peut pas toujours donner d’argent), ils permettent même au joueur patient de devenir surpuissant dans la zone en cours, annihilant au final tout l’intérêt des rares affrontements censés en avoir un.



En dehors de son système de combat et de leveling, un RPG se joue aussi souvent pour son scénario et/ou son univers, carotte qui permet au joueur d’endurer les heures parfois pénibles du jeu. Mais ces deux éléments seraient tout aussi intéressants sans ce gameplay répétitif. En ne conservant que quelques combats rendus plus consistants par des mécanismes solides et la nécessité impérative de se confronter à la difficulté pour progresser, ces jeux seraient peut-être plus courts, mais aussi plus denses et peut-être plus intéressants. Certains RPGs bloquent d’ailleurs artificiellement le niveau ou le nombre de combat par zone, limitant l’over-leveling sans pour autant perdre tout intérêt auprès des joueurs [11]. L’habitude de voir intuitivement une qualité à la longueur des jeux (un RPG d’une dizaine d’heures c’est généralement d’abord mal vu, même s’il peut être finalement très apprécié) n’y est sans doute pas pour rien. Devant les prix des jeux, cet argument peut sembler raisonnable, surtout dans les cas où il atteint un certain degré de cynisme économique[12]. Il ne nous viendrait pourtant pas forcément à l’idée de penser qu’un film ou qu’un livre est meilleur parce que plus long. Ce fonctionnement reste plutôt l’apanage des produits type série, qui cherchent justement souvent à mobiliser le plus longtemps possible le désir de son public pour pouvoir produire une nouvelle saison ou un spin-off. Car dans le fond, il n’est pas sûr qu’un jeu doive non plus nécessairement atteindre les 80 heures pour être excellent, surtout quand celles-ci sont produites de manière artificielle pour justifier le prix de vente, ou correspondre à l’image traditionnelle du genre qu’il représente afin de ne pas prendre le risque de baisser ses ventes. Le joueur lui-même pourtant, réalisant parfois qu’on a gonflé artificiellement cette durée de vie via ce système d’expérience, cherche alors paradoxalement la façon optimale de finir un jeu qu’il espérait long, pour perdre le moins de temps possible (zones de farm les plus juteuses, meilleur rapport dégât/vitesse, etc…), ce qui le conduit à sacrifier le fun à la productivité par la répétition de l’action la plus rentable possible.

Bien sûr, tous ces jeux font aussi preuves de qualités fondamentales qui justifient notre désir de nous y plonger, mais l’investissement de temps ou d'argent qu’ils exigent est parfois disproportionné, surtout mis en relation avec les moyens de motivation qu'ils choisissent de privilégier. Vu de l'extérieur, c'est à dire en dehors du pouvoir que l'objet leur confère en lui-même (et nous impose du même coup), ces actions semblent bien dénuées de sens, même si elles peuvent toutefois se charger d'une dimension sportive et spectaculaire. Mais même dans la logique interne de l'objet, devoir réaliser des tâches faciles mais contraignantes et répétitives pendant des dizaines d’heures pour atteindre les 100% d’un jeu ou le niveau maximum d’un personnage n’améliore bien souvent en rien notre relation au jeu, ni notre expérience personnelle de celui-ci. La mise en forme souvent digne d’intérêt (scénario, lore, graphisme) qui accompagne l’absurdité de ces injonctions ne doit pas nous les cacher, et encore moins nous dissimuler l’usage qui en est parfois fait à notre insu ou avec notre consentement partiel.

---
 
[1] Chaque licence utilise ce pouvoir à des échelles différentes. Si on compare Call Of Duty et Civilization, il ne s’agit pas de dire que l’un est exempt de visée commerciale (on peut être choqué par la politique de DLC de Civilization) tandis que l’autre est exempt de visée artistique (cette fascination pour la mise à sac des USA). On peut tout de même remarquer que pour chaque cas, il y a un mélange particulier d’opportunisme commercial et d’ambition créative.
[2] Selon le fameux slogan libéral « travailler plus pour gagner plus », sauf qu’ici c’est le consommateur qui finit par payer le droit de gagner tandis que le jeu se garde bien d’afficher ouvertement son idéologie consumériste qu’il dissimule au contraire sous celle de la production agricole sympathique. C’est donc en produisant qu’on consomme.
[3] Le joueur se fixe pourtant lui-même ces contraintes en démarrant une partie. S’il s’en débarrasse en payant, que reste-t-il du jeu ?
[4] Penser à la folie qu’était l’hôtel de vente (finalement fermé en mars 2014) : un marché de revente entre joueurs contrôlé par Blizzard qui empochait des commissions sur chaque transaction. L’entreprise privée avait le pouvoir de modifier la valeur des items à chaque patch, ce qui avait un impact parfois négatif sur le build de joueurs ayant soudain perdu des centaines d’heure à le fabriquer pour rien, mais surtout, faisait la ruine ou la fortune de spéculateurs obligé de participer à un marché privé contrôlé de façon direct.
[5] Tuer des monstres dans certaines zones particulièrement rentables en termes d’or ou d’objets.
[6] Avec des affaires sordides d’exploitation de prisonniers chinois à la clé. Mais pas la peine d’aller jusqu’en Chine si on met ça en perspective avec l’utilisation de stratégies ludiques dans des entreprises. Lire l’article du monde diplomatique sur l’usage de ces stratégies pour augmenter les performances ou créer de l’obéissance civile : voir cet article dans le dossier du Monde Diplomatique.
[7] Il faut insister sur la grande violence économique de ces systèmes ultra-libéraux généralement dérégulée de la vente entre joueur, où le bon prix est souvent « celui que l’acheteur est prêt à mettre », du moins quand il est assez élevé pour le vendeur.
[8] Construction de son personnage qui vise à penser ses capacités et son équipement pour correspondre à une façon de jouer particulière.
[9] Les Hack & Slash sont surtout réputé pour leur contenu et leur difficulté de fin de jeu, qui mettent à l’épreuve la viabilité des personnages.
[10] La nature aléatoire de ces combats dans certains RPG est une véritable plaie, puisqu’il est alors impossible de les éviter ou de vider un donjon. Même si ces combats ne rapportent plus rien au joueur, lorsqu’il est d’un niveau très élevé, il doit quand même les subir.
[11] Lost Odyssey ou The Witcher par exemple.
[12] Gran Turismo : prologue ou Metal Gear Solid Ground Zeroes constituent de bons exemples.
 
Rechercher sur Factornews