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The Council, film manoir

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Depuis quelques années, presque toute la presse jeu vidéo a pris le pli de ne pas chroniquer les jeux épisodiques au jour le jour. La méthode la plus répandue consiste désormais à écrire quelque chose sur le premier épisode, puis d'attendre la fin de la saison pour livrer un avis définitif. L'avantage, c'est que ça permet d’éviter d'écrire 5 fois la même chose. L'inconvénient, c'est qu'il peut se passer beaucoup de choses entre le premier et le dernier épisode. Prenez The Council, dont on vous avait parlé en mars dernier. Depuis, on a appris que Big Bad Wolf était en fait une filiale de Cyanide, qu'après un bon démarrage le jeu se vendait malheureusement un peu moins bien, et que le genre du "Telltale-like" avait pris un sérieux coup derrière la nuque avec la disparition peu glorieuse de Telltale. Pour tout dire, on a un peu l'impression d'arriver après la bataille. Mais peu importe : The Council mérite amplement qu'on lui consacre quelques paragraphes.

Le rappel de Cthulhu

Resituons rapidement le décor. The Council s'apparente à un jeu narratif en cinq épisodes dans lequel on va interpréter Louis de Richet, détective de la fin du XVIIIème siècle débarquant sur l'île privée de Lord Mortimer afin de retrouver sa mère, Sarah de Richet. Cette dernière a disparu alors qu'elle s'apprêtait officiellement à participer à un colloque organisé par Mortimer et rassemblant les grands de ce monde, officieusement pour retrouver l'acheteur d'un livre occulte. Car Sarah, comme son fils, appartient à l'Ordre Doré, une société secrète versée tout autant dans les sciences traditionnelles qu'occultes. Le premier épisode nous mettait aux prises avec quelques invités (George Washington ou  Napoléon Bonaparte pour les personnages historiques, une duchesse anglaise ou un cardinal du Vatican pour les fictionnels) et nous permettait de découvrir la vraie spécificité du jeu : une bonne grosse louche de RPG dans le système de dialogues.



Mais on était loin du compte. On a mis un peu de temps à s'en apercevoir parce qu'on était persuadé d'avoir mis les pieds dans un Telltale-like, mais The Council est en réalité un RPG d'enquête narratif. Si la formulation vous dit quelque chose, c'est parce qu'on l'avait employé pour parler des ambitions déçues du Call of Cthulhu de Cyanide. Il n'est pas impossible que cela relève de la coïncidence, mais le jeu de Big Bad Wolf creuse les mêmes sillons que celui de leurs collègues. Avec nettement plus de réussite. Si Call of Cthulhu abandonnait très vite en rase campagne ses ambitions de RPG et de jeu d'enquête, The Council s'y accroche  tout au long de l'aventure, cherchant en permanence à faire fonctionner ses mécaniques de gameplay de concert. Et comme il y est question d'occulte et que le livre qui déclenche toute l'histoire est un certain "Al Azif", on va mettre les pieds dans le plat : on a fini par considérer que The Council était le ""vrai"" Call of Cthulhu.

Le musée du dé corsé

Le volet RPG intervient dès le début du jeu, quand on nous demande de choisir une classe de personnage parmi trois (diplomate, occultiste ou détective) qui ont chacune leur petit arbre de compétences. On y alloue les points d'un pactole de départ, et au fur et à mesure des épisodes on va gagner de l'expérience, débloquer des points supplémentaires et améliorer notre maîtrise de ces talents. Plus on maîtrise une compétence et moins son utilisation coûtera de points d'action. Car si la grande majorité des actions et options de dialogue sont débloquées d'office, d'autres plus spécifiques nécessitent d'avoir acquis le talent nécessaire et piochent parfois dans une jauge de points d'action pour les réaliser. De plus, il est de temps en temps possible de saisir à la volée une opportunité d'indice entre les choix de dialogues, mais pour cela il faut évidemment en être capable. Pour rebondir sur un personnage qui parle en allemand pour ne pas être compris des autres, il faut avoir développé ses compétences en linguistiques. Ayant choisi d'être détective, on a ainsi passé tout le début du jeu à "rater" des opportunités et des options de dialogues par manque de connaissance en politique, linguistique, sciences ou étiquette, mais commencer en occultiste ou diplomate nous aurait empêché de bénéficier de nos talents en psychologie ou interrogatoire. 



Pas de panique cependant : en lisant des livres entre les chapitres ou en réalisant certaines actions très spécifiques, il reste possible de débloquer toutes les compétences et de les améliorer avec ses points d'expérience. En étant particulièrement discipliné dans l'exploration du manoir Mortimer, on a ainsi pu finir le jeu avec toutes les compétences boostées au moins au niveau 1, rendant d'ailleurs les épisodes 4 et 5 plutôt tranquilles. Notons également qu'un inventaire vient compléter ces mécaniques de RPG, avec quatre types d'items : du miel pour regagner des points d'action, un élixir pour supprimer les éventuelles altérations négatives, une potion pour rendre la prochaine action gratuite et une autre pour afficher les vulnérabilités et immunités des personnages (et ainsi éviter de dépenser des points dans une action perdue d'avance, par exemple en usant de psychologie sur quelqu'un qui y est insensible). Ajoutez-y des items pour augmenter la jauge de points d'action, secouez bien fort, et vous obtenez des mécaniques de jeu plutôt originales, une sorte de gestion des ressources qui fonctionne suffisamment pour renouveler l'exercice du Telltale-like. Vaut-il mieux dépenser mes points pour ouvrir ce coffre ou les garder pour mon prochain dialogue ? Les infos éventuelles valent-elles le coup de boire mes potions maintenant ? Des choix qui orienteront parfois vos relations avec les personnages, ou feront obliquer l'histoire, mais qui surtout vous permettront d'obtenir plus d'indices pour résoudre les enquêtes.

Tell mère tale fils

Car même si la récente sortie de Return of the Obra Dinn nous a rappelé que les vrais jeux d'enquêtes, ceux qui demandent aux joueurs de collecter des indices et d'en déduire un raisonnement logique quitte à se tromper, étaient quasiment inexistants, The Council s'avère être plutôt une bonne surprise de ce côté-là. Pour rythmer la progression, Big Bad Wolf place sur les pas du joueurs une série d'obstacles, qui peuvent aller de l'enquête sur un meurtre à des énigmes à la Indiana Jones en passant par des "confrontations", des dialogues dont l'objectif est de convaincre un personnage avec les bons arguments. Mais là où l'immense majorité des productions actuelles se contenterait d'un "press X to solve" ou d'indices peu subtils, The Council vous pousse à chercher des informations partout, et à vous débrouiller pour les compulser. Souvent, cela passe par des éléments d'interface très concrets, comme quand on découvre une vulnérabilité ou une information importante, mais parfois il s'agira simplement de petits détails informels. Fouiller dans la correspondance personnelle d'un personnage ou s'intéresser aux tableaux accrochés dans sa chambre pourra nous en dire plus sur sa personnalité ou nous inciter à orienter les discussions vers certains sujets en les abordant sous le bon angle.


 
Et pour les énigmes, rassembler des informations permettra de mieux comprendre ce qui est attendu pour progresser, donnera des indices supplémentaires pour faciliter la réflexion et permettra d'éviter de se tromper. C'est parfois très basique (comme dans les statues à bouger dans le premier épisode), parfois extrêmement fastidieux et maladroit (le passage avec la Bible et les tableaux), et parfois très intéressant, comme quand il faut réfléchir à comment sortir d'une pièce secrète dont la porte s'est refermée derrière nous, comprendre la morale d'un mythe gréco-romain, ou ouvrir une serrure particulièrement alambiquée sur la base de textes apocryphes et de calendrier lunaire. Si jamais on sèche, il reste possible de dépenser des points d'action pour utiliser ses compétences et obtenir plus d'indices. C'est d'ailleurs dans certains de ces moments qu'on perçoit une des limites du système de compétences : deux options différentes (au hasard, "logique" et "occultisme") donneront parfois les mêmes informations, sans doute pour s'assurer qu'aucun joueur n'est pénalisé par ses choix. Plus important encore : à plusieurs reprises, le jeu laisse au joueur la possibilité de se tromper. S'il s'agit de petites énigmes, rien de fou : on recommence jusqu'à trouver la bonne solution. Mais parfois, c'est plus délicat : déclencher l'ouverture d'une porte en ayant activé les mauvais mécanismes et vous y perdrez votre main, fâchez les mauvaises personnes ou échouez dans certaines confrontations et vous pourriez connaître un destin encore pire.

Les liaisons vachement dangereuses 

C'est d'ailleurs le dernier point sur lequel The Council s'avère largement supérieur à n'importe quel Telltale : il possède un arbre narratif touffu, dans lequel la progression se fait réellement par rapport à vos décisions et actions, et qui peut déboucher sur une grande variété d’événements et de fin. Si deux personnages meurent inévitablement quelques soient vos storylines, le reste vous appartient. Vous pouvez vous allier avec et/ou trahir n'importe qui, vous pouvez tuer, sauver ou laisser mourir à peu près tout le monde, vous compris. La confrontation finale, par exemple, peut se faire seul ou avec des alliés différents, à l'aide d'une arme récupérée plus tôt, mais vous pouvez vous être trompés en la récupérant et vous ne le découvrirez qu'en voyant qu'elle ne fonctionne pas (mais si vous avez pris le temps de rassembler suffisamment d'informations il n'y a pas d'erreur possible, et de toute façon vous pouvez dégoter une arme alternative si vous réfléchissez aux indices en votre possession). A la fin de chaque chapitre (chaque épisode est découpé en 3 à 5 chapitres), un tableau récapitule vos réussites, échecs et opportunités manquées, histoire de vous donner envie d'essayer d'autres parcours (il est possible de reprendre l'histoire à partir de n'importe quel sous-chapitre). Alors oui, évidemment, il arrive que dans le tas le jeu lui-même en perde un peu son latin. Parfois c'est en laissant affichées des options de dialogues qui font référence à des événements qui se sont passés différemment dans vôtre partie, parfois en mentionnant des noms ou des choses qui ne sont pas arrivées, et parfois c'est tout simplement le joueur qui est un peu perdu face à des choix dont il n'est pas certain de comprendre les possibles conséquences.



D'une manière plus générale, l'histoire semble avoir du mal à se développer correctement tout au long des cinq épisodes. Si au départ on pense participer à un dîner mondain tout en enquêtant sur la disparition de sa mère, des événements brutaux et un retournement de situation viennent rebattre les cartes à mi-parcours. Et c'est à partir de là que, progressivement, la magie s'effrite. Les joueurs disciplinés qui auront exploré le manoir, récolté les items et réalisé les achievements se retrouveront, dès l'épisode 4, avec toutes les compétences débloquées, les poches pleines d'items, la jauge d'action doublée et une connaissance parfaite de tous les personnages. L'importance de la fiche de perso s'efface alors un peu. Et sans qu'on sache si c'est lié aux ventes décevantes (qui auraient pu pousser à accélérer le calendrier de sortie), les épisodes 4 et (surtout) 5 sont beaucoup moins longs que les premiers. Vous pouvez certes tabler sur une solide quinzaine d'heures pour boucler un premier run de l'aventure, ce qui est largement plus que les standards du genre, mais on ne peut s'empêcher de penser que certains éléments de la fin de l'histoire, notamment en ce qui concerne Holm et Mortimer, aurait mérité un peu plus de développement. Ne serai-ce que parce qu'on nous demande de faire des choix importants et qu'on a l'impression de ne pas avoir toutes les informations pour trancher. Ou parce que le cabotinage à la Sherlock du premier épisode n'est plus qu'un lointain souvenir.

Le concile détrempe

Avec tout ça, on n'a même pas parlé technique. En toute logique, The Council a l'apparence d'un AA comme Cyanide en produit régulièrement. Si la modélisation des visages a bénéficié d'un soin tout particulier, il faut bien reconnaître que les animations et les différents effets semblent un peu datés. Rien de très gênant, même si après quelques dizaines d'aller-retours dans les couloirs du manoir on aimerait conseiller au héros le numéro d'un bon kiné. En revanche, comme pour Call of Cthulhu, on peut saluer le travail impeccable des artistes. En plus d'être un manoir rempli de marbre, de dorures, d'étages, de balcons et de pièces colossales (ahhhhh, cette bibliothèque...), le lieu de l'action déborde de statues, de tableaux de grands maîtres et de livres rares. Conçu comme un musée richement documenté, c'est autant un moteur de l'action qu'une plongée dans la culture classique européenne et sa fascination paradoxale pour les mythes gréco-romains autant que pour la tradition judéo-chrétienne. Les doublages sont vraiment très bons, même si certaines répliques semblent avoir été enregistrées sur un coin de table après une réécriture de dernière minute. Et si la musique d'Olivier Derivière finit par tourner un peu en rond en s'articulant autour d'un seul thème principal, on retrouve une utilisation de la musique adaptative classique et efficace (plus on progresse dans les énigmes et plus les pistes sonores s'ajoutent, indiquant au joueur qu'il est sur la bonne voie en le récompensant avec un bonbon auditif).



En revanche, et on l'avait mentionné quand on avait parlé du premier épisode, le character design peut parfois laisser dubitatif. Quand il s'agit de personnages historiques, rien à redire : ils s'appuient sur ce qu'on sait d'eux. A part quelques nostalgiques aux convictions douteuses, personne ne sera choqué de découvrir un Bonaparte benêt dévoré d'ambition préparant, des années à l'avance, son coup d'état militaire, un duc Godoy en Casanova incompétent, ou un Washington délabré par l'âge et terrifié à l'idée que l'Histoire l'oublie. Mais pour ce qui est des personnages purement fictifs, leur apparence est conçue à la fois pour orienter le joueur vers les bons choix de dialogues, et créer des surprises narratives (comme quand un personnage révèle des fêlures ou une droiture morale qu'on ne soupçonnait pas). Le souci, c'est que ça débouche sur des choix de design très tranchés, pour ne pas dire caricaturaux. Et les personnages féminins ne sont malheureusement pas très bien lotis, entre une duchesse Hillsborrow aux poumons resplendissants (et qui finit en porte-jarretelles trois fois) et une Elizabeth Adams au destin pas très marrant. C'est peut-être la seule vraie ombre au tableau : entre ses thématiques portées sur l'occulte et ses personnages hauts en couleur, il est parfois difficile de prendre au sérieux l'histoire qu'on nous raconte.
The Council n'est évidemment pas parfait. Parfois, les coutures craquent et trahissent la superficialité des choix ou le manque de moyens, le rythme n'est pas toujours trépidant et la fin semble un peu bâclée. Mais c'est un jeu atypique qui réussit à mêler habilement enquête et RPG, au sein d'une histoire dense et dans un joli cadre. Plus riche et généreux qu'un Telltale, mieux équilibré et plus convaincant que Call of Cthulhu, le jeu de Big Bad Wolf sera sans doute sans lendemain mais il gardera une petite place dans nos souvenirs.

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