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TEST

Sea of Solitude : "contexte ?"

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Electronic Arts Jo-Mei
Supports : PC / Origin
À quoi ça tient, une opinion ? À pas grand-chose, en fait. On change un peu le contexte dans lequel on vit une expérience, et notre appréciation s’altère. C’est un peu comme ça que Sea of Solitude est passé, en deux sessions de jeu espacées de quelques semaines, du statut de solide déception à celui de jeu maladroit mais important.
Sorti cet été, Sea of Solitude est l’une des têtes d’affiches du label EA Originals (un tampon « mais si, c’est de l’indé » et un soutien budgétaire qui nous avait offert l’an dernier l’inénarrable A Way Out de Josef Fares). Mais ici, point de taulards gouailleurs : développé par un petit studio berlinois dirigé par Cornelia Geppert, Sea of Solitude abat une carte souvent jouée par les jeux vidéo narratifs, celle de la métaphore des errements de l’esprit humain. C’est parfois fait avec intelligence et efficacité (Celeste, What Remains of Edith Finch), parfois de façon un peu lourde et maladroite mais néanmoins intéressante (Dear Esther, Hellblade : Senua's Sacrifice), et parfois c’est un franchement raté. Quand on a commencé à jouer à Sea of Solitude et à son histoire de monstres peuplant une Berlin engloutie sous les eaux, on l’a spontanément rangé dans cette dernière catégorie.

Saoul océan

Le jeu se présente en effet sous la forme d’un (fort joli) walking simulator introspectif croisé à un platformer léger. Passé l’effet wahou des décors, c’est cette deuxième composante qui frappe en premier, et pas forcément en bien. Non pas que le jeu soit fondamentalement mauvais : les contrôles sont précis, le level design assez clair, on est rarement frustré de ne pas réussir ce qui est demandé. C’est plutôt l’absence totale d’inventivité qui déçoit : on dirige la barque, on marche, on grimpe, on saute, on fuit, on réalise deux ou trois actions contextuelles, et c’est tout. Le level design est basique, les mécaniques superficielles, la difficulté absente, notamment parce qu’il n’y a pas de game over. Jusqu’à son dénouement, Sea of Solitude donne l’impression d’avoir plaqué un gameplay pré-existant sur son histoire, comme si le jeu n’assumait pas d’être un walking simulator et se déguisait en autre chose. Et ça n’est pas la surcouche de collectionite qui arrange les choses : en explorant les décors, on peut dénicher des bouteilles à la mer (qui rythment la narration avec de petits messages) et des albatros (qui permettent d’observer les décors depuis le ciel grâce à une séquence à la Assassin's Creed). L’intérêt semble limité, les décors étant de toute façon suffisamment petits pour être explorés en cours de route, et l’éclairage sur l’histoire superflu tant la métaphore manque de subtilité.



C’est même ce qui a failli nous faire lâcher le jeu, qui se boucle pourtant en quatre petites heures : au bout d’une heure, on avait un peu l’impression d’être pris pour des jambons. Kay, le personnage principal, a été transformée en monstre noir aux yeux rouges. Aidée par Luciole, une petite lueur flottante, elle cherche à avancer dans la ville noyée pour retrouver la mémoire et comprendre ce qui lui arrive. Notamment : qui sont ces autres monstres, dont certains gigantesques, qui lui semble étrangement familiers. Sea of Solitude se révèle être un empilement de métaphores de la toxicité des relations humaines, ce qu’indiquent très clairement les flashbacks audio qui rythment la progression. Au point de comprendre, bien longtemps avant Kay, de quoi il en retourne. Et d’en venir à se poser une douloureuse question : n’aurait-il pas mieux valu aller à l’essentiel ? Le jeu ne serait-il pas largement plus efficace sans sa surcouche de gameplay fade et ses figures métaphoriques peu subtiles ? N’aurait-on pas préféré une balade contemplative dans ces très jolis décors ?

C'est rance chez le psy

On en était là, à repousser la suite du test au lendemain, quand la préparation de la Gamescom est arrivée, puis la Gamescom, puis l’après-Gamescom et ses dizaines de previews. Quand on a repris le fil des affaires courantes, on s’est donc motivé à finir Sea of Solitude. Sauf qu’entre temps, une nouvelle vague de témoignages #metoo a légitimement frappé l’industrie du JV. Zoe Quinn a initié une cascade de témoignages contre Alec Holowka, qui a mis fin à ses jours, ce qui est extrêmement triste mais ne l’absout en rien. Natalie Lawhead a accusé Jeremy Soule de l’avoir violée. Plusieurs personnes ont dénoncé le comportement d’Alex Kenedy chez Failbetter Games, tout comme celui de Tyrone Rodriguez chez Nicalis. Dans le sillage de ces cas fortement médiatisés, des dizaines d’anonymes ont raconté leurs expériences traumatiques vécues au sein de l’industrie. Quand on a relancé Sea of Solitude, le contexte avait changé, parce qu’on baignait dans un océan d’exemples de la toxicité des autres, en particulier des hommes. Ce qui nous a poussé à le regarder différemment.



Le jeu reste globalement ennuyeux à jouer. Si certains chapitres proposent des séquences de plate-forme spécifiques aux monstres qu’on y croise, si on aura la surprise de quelques combats de boss, si quelques représentations visuelles de l’angoisse sont efficaces, si les décors restent sympathiques voire enchanteurs (bien que volontairement redondants), il reste difficile de dénicher un réel plaisir de jeu. Pire, le propos reste tout aussi lourdement et maladroitement caché derrière des métaphores transparentes. Quelques rebondissements laissent même dubitatifs, notamment sur la façon de gérer une relation amoureuse toxique. Mais Sea of Solitude a été façonné par les propres expériences de Cornelia Geppert et ses collègues de Jo-Mei. Leur jeu raconte un voyage aux confins de la solitude, de la dépression, et tente d’expliquer pourquoi on tombe, comment se relever, aider et se faire aider. Qu’il le fasse avec une indéniable maladresse ne lui enlève pas ce statut de témoignage.



Que ce soit sous la forme d’un thread twitter, du post sur Medium ou d’un jeu vidéo bancal, il n’est jamais inutile qu’on nous rappelle que toute cette merde existe, blesse, tue. Et que détourner le regard ou se contenter d’un message de soutien opportuniste, c’est déjà faire partie du problème. Balayer du revers de la main un tel discours parce qu’il est maladroit et manque de subtilité, c’est une froideur luxueuse, un privilège que seuls peuvent se permettre ceux qui n’ont pas vécu les mêmes choses ou, pire, refusent d’écouter celles et ceux qui les ont vécu. Ce serait comme invalider tout un thread Twitter au motif qu'il est bourré de fautes d'orthographes. C’est sans doute pour ça que, tout médiocre qu’il est, Sea of Solitude reste important : c’est une voix de plus au concert des témoignages de l’inhumanité.
En tant que jeu vidéo, Sea of Solitude n'est pas très réussi : il est très joli mais pas très inventif dans son gameplay et franchement pataud dans sa narration. Cela ne suffit néanmoins pas à invalider son message, qui résonne d'autant plus fort dans le contexte de ces dernières semaines.

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