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The Walking Dead : The Final Season

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Telltale Games Skybound Games
En mars 2018, Megan Farokhmanesh publiait dans The Verge un long article intitulé "Toxic management cost an award-winning game studio its best developers". Il y était question de Telltale, un studio fondé par d'anciens de LucasArts pour poursuivre l'aventure Sam & Max et qui, après avoir pataugé pendant plusieurs années, avait explosé avec The Walking Dead en 2012. Ce que Farokhmanesh pointait, c'est qu'il s'agissait d'un tour de force obtenu grâce à un crunch intensif et en dépit d'un management cupide et peu compétent.

Persuadés d'avoir trouvé la pierre philosophale avec l'exploitation de licences au format narratif épisodique bardé de QTE et de dilemmes, les dirigeants ont poussé dans cette voie sans rien remettre en question. Conserver un Telltale Tool poussif et obsolète, multiplier les projets sur des licences ronflantes, tout miser sur le crunch et les freelances pour tenir les deadlines. Les équipes qui avaient réalisé le miracle TWD partirent rapidement voir ailleurs, remplacées par un turnover massif. Petit à petit, le succès s'est effrité, la patience des critiques et des joueurs.euses face à une formule éculée dès 2012 aussi, et tout s'est achevé avec fracas fin 2018, avec des licenciements massifs puis une faillite. De tous les projets en cours, le cas le plus gênant était celui de l'ultime saison de TWD, stoppée à mi-parcours. Robert Kirkman, créateur des comics et dont le studio Skybound est un partenaire de longue date de Telltale, a alors récupéré son bébé, embauchant au passage un wagon d'anciens.ennes devs (astucieusement renommés la "Still Not Bitten Team"), pour clore la saga sur l'Epic Games Store. Avec cette ultime saison, on fait donc nos adieux à la fois à Clementine et à Telltale.
Ce texte contient plusieurs spoilers sur les trois premières saisons de The Walking Dead. La conclusion est sans risque, et je vais faire tout mon possible pour éviter les spoils sur cette saison.

Ni A.J. ni démon

La toute fin de la saison 3 de The Walking Dead était assez racoleuse : on y voyait Clementine partir à la recherche d'A.J., l'enfant né dans la saison 2, dézinguant des rôdeurs dans une pose ultra badass, avec un sous-titre « Clementine’s story will continue… » du plus mauvais goût. Fort heureusement, cette ultime saison fanfaronne moins qu'on ne le craignait. Clementine a fini par retrouver A.J. et roule depuis deux ans à travers le sud des États-Unis en recherche d'un nouveau foyer. Elle a 16 ans, lui 5 et leur situation n'est guère brillante : ils n'ont ni bouffe ni eau et n'ont pour seules armes qu'un revolver déchargé et un couteau. Après s'être fait piéger au sein d'une horde, victimes d'un accident de voiture, ils sont sauvés par Marlon et sa bande, des adolescents anciens pensionnaires d'une maison de redressement perdue au milieu de la forêt et qui se débrouillent seuls depuis que les adultes les ont abandonné. Une école qui pourrait presque ressembler à une nouvelle maison où élever plus sereinement A.J.... Sauf qu'avant ça il va falloir éclaircir quelques mystères, comme la "zone de sûreté" instaurée par Marlon autour de l'école, et la présence de pilleurs très entreprenants. Durant tout le jeu, on incarnera donc Clementine avec une double mission : protéger l'école, dernier espoir de mettre fin à des années d'errance, et continuer d'inculquer à A.J. les règles de survie qu'on pense être les meilleures. 



Évacuons d'emblée ce que bon nombre d'entre vous a déjà deviné : malgré sept ans, cinq jeux (S01, 400 Days, S02, Michonne, A New Frontier) et le passage chez Skybound, cette ultime saison est du Telltale pur sucre qui ne révolutionne en rien la formule. Certes, à comparer l'originel de 2012 et la conclusion de 2019, on voit que du chemin a été parcouru. Visuellement, le jeu a une sacrée gueule. Non pas que le Telltale Tool fasse des miracles dont il est incapable, mais il serait profondément malhonnête de ne pas voir l'évolution depuis le crayonné grossier jusqu'aux modèles nettement plus fins et aux éclairages soignés. Il y a toujours des soucis techniques, comme les collisions ou les personnages qui se téléportent, et il est évidemment possible de préférer l'aspect BD des origines à la simili-uncanny valley désormais en vigueur, mais on notera tout de même de vraies ambitions esthétiques dans la composition des décors et la mise en scène des séquences. Des efforts mis en valeur par une caméra un peu plus libre que d'habitude : les zones à visiter sont toujours minuscules, mais on peut au moins y observer quelques jolis vues en regardant autour de soi. On sent aussi des années d'expérience dans la gruge visuelle, avec un montage pensé pour limiter le nombre de plans à animer ou masquer les problèmes de collision derrière des cuts. Même l'emballage sonore a progressé : on retrouve toujours l'excellent taf de Jared Emerson-Johnson à la composition, ainsi que de superbes chansons pour les génériques, mais en plus de ça on a désormais le droit à des doublages français de bonne qualité.

Du petit A.J. au Lee 

Côté gameplay, rien d'original non plus : on est toujours dans cette alternance entre dialogues et QTE, entre moments calmes et montées de tension, entre rapprochements émotionnels avec les personnages et dilemmes moraux destructeurs. Notons tout de même que de toutes les saisons de The Walking Dead, cette dernière est la seule dont le gameplay a une certaine tenue sur la longueur. Finie les expérimentations de la saison 2 (qui changeait son fusil d'épaule à chaque épisode ou presque) ou les dernières tentatives maladroites d'A New Frontier pour faire du point'n click : après sept ans d'attente, on a enfin le droit à un jeu qui s'assume tel qu'il est, à savoir une balade narrative dans laquelle les interactions entre les personnages sont plus importantes que tout le reste. Pas ou peu de phases de point'n click ralentissant la progression,  beaucoup de dialogues et des personnages secondaires soignés : c'est tout ce qu'on demandait, depuis longtemps, parce qu'on savait que Telltale ne pouvait guère faire mieux. Les QTE sont le seul problème restant, ni Telltale ni Skybound n'ayant trouvé d'autre solution pour matérialiser les moments de tension. C'est un anachronisme dont on aurait pu s’accommoder, s'il n'y avait pas à chaque épisode une ou plusieurs séquences basées entièrement sur une succession de QTE à valider... et qu'on recommence au début dès qu'on en rate un. Quand on meurt une fois de façon très crue, l'effet peut être efficace. Quand on revoit la même séquence trois ou cinq fois, nettement moins. Ces passages ne représentent qu'une poignée de minutes au total, mais ils sont suffisamment frustrants pour se dire qu'on aurait pu s'en passer.



Cette saison 4 ne serait donc qu'un plat réchauffé, certes consistant et présentable mais sans saveur ? On en est les premiers surpris, mais non, elle est beaucoup plus que ça. Tout repose en fait sur la relation entre Clementine et A.J., une réminiscence assumée de la relation entre Lee et Clementine, et presque tout dans cette saison fait écho à la saison 1. Il s'agit certes de survivre, mais en ajoutant une composante protection/transmission, la plupart des situations gagnent en impact. On doit non seulement décider de ce qui est le plus efficace, mais se poser également des questions morales. Ou, plus précisément et parce que la moralité a toujours été un ressort narratif de la série, on déporte les questions morales vers le personnage d'A.J.. Quelles limites lui fixer ? Quels exemples lui donner ? Comment lui expliquer nos propres choix et nos contradictions ? La mécanique est beaucoup plus efficace que n'importe quelle surenchère gore, misérabiliste et caricaturale qu'a produit la série depuis sept ans, précisément parce qu'elle puise à la même source que la saison 1. Mieux : là où la relation entre Lee et Clementine était à sens unique jusqu'à son terrible dénouement, celle entre Clementine et A.J. a une existence dans le gameplay et une importance capitale dans la narration. A plusieurs reprises et de façon assez logique, A.J. prendra ses décisions tout seul... en fonction de ce que vous lui aurez appris. La survie de votre groupe repose désormais tout autant sur vos choix personnels que sur vos qualités de grande sœur.

L'écho de Savannah

Le jeu pioche également dans la saison 1 pour aller chercher l'antagoniste principal, Lilly, ce qui pourrait paraître forcé mais passe finalement assez bien, notamment parce qu'il s'agit de l'un des rares personnages de l'époque dont on est susceptible de se souvenir à cause du meurtre de Carley. A titre personnel, c'est même l'un des seuls protagonistes, toutes saisons confondues, dont je me demandais ce qu'elle était devenue. On notera au passage qu'il est toujours aussi compliqué d'importer ses sauvegardes de la saison précédente, pas tellement parce que l'outil est mal foutu mais plutôt parce qu'on a encore une fois oublié de les garder au chaud dans un coin. Liens étroits avec la saison 1 obligent, le module de création de partie sans sauvegarde antérieure vous demandera de vous souvenir de certains de vos choix de l'époque et on conseillera de relire un wiki pour se remémorer certaines situations oubliées depuis tout ce temps. Bref, Telltale et Skybound ont tout fait pour boucler la boucle en multipliant les références au passé, donnant l'impression d'avoir parcouru un long voyage et d'arriver enfin à destination. Là encore, c'est une super idée qui renforce l'intérêt narratif de la relation avec A.J. : on se retrouve à prendre des décisions non seulement par rapport à la situation présente, mais également en se remémorant nos choix passés dans des situations similaires. Autre effet positif : cela permet d'éviter de trop lourdes références à la série télé ou au comics (même si on croise un Chuchoteur) et de récompenser spécifiquement les fans des jeux plutôt que les fans de The Walking Dead d'une manière générale, en utilisant le lore spécifique aux productions Telltale. A titre d'exemple, on aperçoit brièvement un personnage de 400 Days : pour celles et ceux qui y ont joué et s'en souviennent c'est un petit easter egg, pour les autres c'est juste un personnage random sans importance.



Le fait que le jeu se concentre en quatre épisodes au lieu des cinq habituels permet également de mieux gérer le rythme, avec moins de cliffhangers putassiers et plus de temps pour des moments intimistes. Que ce soit pour des amourettes adolescentes (Clementine peut tomber amoureuse d'un garçon ou d'une fille selon vos choix) dont la touchante maladresse semble rafraîchissante dans un contexte post-apocalyptique, des discussions sans conséquences avec les autres pensionnaires de l'école, des tentatives d'intégrer A.J. au groupe alors qu'il vit seul avec Clementine depuis des années et n'a jamais connu le monde d'avant, ou des références directes à des séquences des jeux précédents, ce sont autant de passages indispensables pour renouveler notre attachement émotionnel à Clementine, tisser des liens avec les personnages et donner de l'importance aux événements. Cela permet également d'oublier le fait que, contrairement à la saison 3 qui proposait des expériences et des fins bien différentes selon vos choix passés et présents, on retombe ici sur une histoire qui ne dévie pas de ses rails et se contente d'ajustements à la marge. Impossible non plus de passer sous silence les incohérences qui parsèment fatalement les quatre épisodes, comme des règles de l'univers à géométrie variable ou quelques personnages lunatiques selon les besoins des séquences. Mais ne crachons pas dans la soupe : quand on compare avec les personnages fonctions qui peuplaient les saisons 2 et 3 et sautaient d'une caricature à une autre pour faire tourner le trashouillomètre à plein régime, on ne peut qu'apprécier les personnages de cette saison 4.  

On t'aime, Clem

Il est aussi foutrement agréable de ne pas voir le jeu prendre un malin plaisir à tuer les personnages auxquels on s'attache : il y aura évidemment des morts, mais celles-ci ont lieu plus ou moins logiquement selon les événements et le caractère des gens. Quand elles surviennent, elles ne semblent pas forcées, implémentées à coup de maillet pour vous arracher une larme. Et comme elles concernent des personnages qu'on a pu découvrir auparavant, le résultat est sans appel : pour la première fois depuis très longtemps dans The Walking Dead, certaines morts cessent d'être des clichés misérabilistes pour retrouver un impact émotionnel sincère. Pas toutes, malheureusement, mais c'est déjà un progrès colossal. De fait, cette ultime saison réussit l'objectif qu'elle se fixe : donner envie de rester dans ce nouveau groupe, mettre fin à des années d'errance et faire de l'école un foyer pour les années à venir. Combiné à la relation avec A.J., cela donne un jeu le plus souvent plaisant à suivre, parfois passionnant ou touchant, certainement l'une des meilleures production Telltale depuis un long moment. Et cet hommage appuyé à la saison 1 est probablement, dans les moyens de Telltale, ce qu'il y avait de plus proche d'une sortie honorable pour Clementine, un personnage mémorable qui aura traversé des jeux qui n'étaient malheureusement pas souvent à sa hauteur. On conseillera même à celles et ceux qui ont aimé la saison 1 mais se sont lassés des Telltale de donner sa chance à celui-ci, quitte à zapper les saisons 2 et 3 en lisant des résumés sur un wiki.



Malheureusement, le dénouement repose sur un procédé narratif qu'on ne peut que qualifier de malhonnête. Difficile d'en parler sans commettre un énorme spoiler que personne ne me pardonnerait. Disons simplement que le jeu met en place, dans sa dernière ligne droite, un setup riche en émotions, laisse imaginer une fin pendant laquelle on se retrouve en larmes, utilise des symboles de la saga pour nous faire continuer à croire en ce qu'on vient de voir, avant de nous dire "SURPRISE, ça n'avait rien à voir, on vous a bien eu hein !". Alors oui, vous nous avez bien eu, mais non seulement ce dénouement semble parfaitement illogique et impossible au vu de tout ce qu'on sait de l'univers du jeu, mais en plus cette façon de détourner les codes de la série, profondément ancrés dans le subconscient des joueurs.euses, pour mieux les surprendre, ça n'est vraiment, mais alors vraiment pas sympa. On se doute bien que les scénaristes se sont retrouvés coincés entre plusieurs options : faire écho à la saison 1, faire plaisir aux fans de Clementine, creuser une nouvelle piste avec A.J.... Mais le compromis qu'ils ont trouvé semble forcé (il a lieu peu importent vos choix durant la saison) et maladroit, et pour peu que vous vous soyez sentis émotionnellement investis dans les personnages vous pourriez même trouver ça cynique et humiliant qu'on ait ainsi joué avec vos sentiments.  En se raccrochant aux branches, on pourrait arguer que cette fin maladroite est une fin malgré tout, ce qui n'était pas gagné d'avance.
Est-ce parce qu'on sait que c'est la fin qu'on regarde cette ultime saison de The Walking Dead avec les yeux de l'amour ? Toujours est-il que Clementine s'offre un baroud d'honneur efficace et touchant. C'est principalement grâce à la relation de protection et de transmission avec A.J., qui fait écho aux plus belles qualités de la première saison, ainsi qu'un rythme et une écriture plus posées. Et malgré les défauts habituels du défunt studio et un dénouement terriblement maladroit. Au vu du passif de Telltale, de leurs méthodes de production, de la qualité fluctuante de leurs jeux récents et de leur faillite chaotique, on pouvait craindre nettement pire et le résultat tient presque du miracle. Adieu, Clementine. Nous nous souviendrons de toi.

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