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Call of Cthulhu

Nicaulas par Nicaulas,  email  @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Focus Entertainment Cyanide Studio
Une bonne démo est rarement une mauvaise chose pour un jeu : si elle est présentée à la presse celle-ci va être plus encline à écrire une preview impatiente, si elle est présentée au public en salon c'est une bonne manière d'amorcer le bouche à oreilles. Il y a un mois, nous étions ainsi rassurés et impatients d'en découdre avec Call of Cthulhu, adaptation par Cyanide du jeu de rôle papier de Chaosium. Mais une bonne démo peut aussi être une malédiction, quand elle fait miroiter des choses que le jeu final ne délivre que très peu au joueur. Tout comme la pluie qui frappe mes vitres au moment où j'écris ces lignes et signe très certainement la fin de l'été indien, la version finale de Call of Cthulhu a douché mes espoirs et plombé l'ambiance.
Edward Pierce, vétéran de la Grande Guerre, se morfond dans son bureau de détective privé, et dans l'alcool également. Forcé d'accepter n'importe quelle affaire pour garder sa licence, il part enquêter sur la mort de Sarah Hawkins, artiste réputée dont les toiles étranges et macabres attirent la curiosité, décédée avec son mari et son fils dans un incendie. Une fois débarqué sur l'île de Darkwater, il doit apprivoiser les autochtones pour mener ses investigations, et se rend rapidement compte qu'il y a poulpe sous gravillon. Des années après, tout le monde ne parle que de la "pêche miraculeuse", dernière baleine à avoir été pêchée par les marins du port, mais tellement gigantesque qu'elle a sauvé tout Darkwater de la famine. La statue du saint patron local est défigurée et couverte d'inscriptions étranges. Des rumeurs courent sur l'asile local. Bref, on est bien chez Lovecraft.

20.000 lieux communs sous les mers

Il faut admettre que Cyanide connaît ses classiques, et arrive à en retranscrire les grandes lignes. Si on met de côté la grille de lecture politique (qui aurait plus sa place sur un blog littéraire -ou sur Twitter), les adaptations de l'univers de Lovecraft échouent souvent sur les mêmes écueils : elles personnifient les Grands Anciens sous la forme de monstres à abattre, elles les rendent tangibles, réels, alors que Cthulhu est bien plus une idée qu'un monstre. Dans les jeux vidéo tout particulièrement, il faut lutter contre l'envie de suivre l'évolution classique des héros, qui gagnent en pouvoir et en maîtrise de leur environnement au fur et à mesure de l'histoire. Chez Lovecraft, c'est censé être tout le contraire : une inexorable descente aux enfers, une perte progressive de sa raison et de ses moyens, une découverte de sa propre impuissance face à des forces qui dépassent l'entendement. Call of Cthulhu suit cette courbe : Pierce est ballotté de péripéties en péripéties et se débat futilement contre un destin qui lui est pourtant clairement annoncé dès les premières heures de jeu. En fonction des choix du joueur, il reste possible d'accéder à deux fins différentes, mais aucune n'est clairement une "bonne" fin. Quant à Cthulhu, il reste dans l'ombre, laissant le rôle d'ennemis à des humains ou à des créatures un peu plus mineures de son folklore. Et pas mal de choses renforcent la sensation d'être le jouet du destin : on passe le gros du jeu à rassembler une équipe qui s'éparpille dès l'instant où elle est complète, on nous donne un flingue surpuissant le temps d'une séquence avant de nous enlever ce joujou, les missions de sauvetage tournent à la catastrophe, le héros passe un temps fou en cellule... 



L'analyse de l'univers est donc plutôt bonne, et elle est soutenue par des ambitions artistiques et une ambiance d'une efficacité parfois redoutable. Sur un plan purement technique, le jeu a plusieurs années de retard, que ce soit dans la finesse des décors, les effets ou les animations. Mais en ce qui concerne l'esthétique, on trouve peu à redire. Darkwater est crasseuse, poisseuse, écrasée par la brume. Les intérieurs sont glauques, étouffants, inquiétants. Les tableaux de Sarah Hawkins sont perturbants comme du Francis Bacon. Et même si les effets sont un peu datés, ils sont utilisés à bon escient, certains passages devenant réellement angoissants. D'autant plus que le sound design est vraiment d'excellente qualité, à la fois discret et permanent, venant mettre des coups de pression bien sentis. On reste très certainement un cran en dessous des jeux d'horreur les plus marquants de ces dernières années, et il n'y a pas vraiment d'idée originale de gameplay pour soutenir ou allonger ces séquences (comme avait pu le faire en son temps le vénérable Eternal Darkness), mais c'est tout de même à mettre au crédit de Cyanide. Malheureusement, ces passages se retrouvent dilués dans un jeu terriblement maladroit.

Et à la fin il s'évanouit

Car en dehors d'un chapitre sur le port au début du jeu, et un autre dans un hôpital plus tard, Edward Pierce est harnaché au wagon d'un train fantôme qui l'emmène d'un lieu à l'autre à toute vitesse (parfois en le téléportant), sans avoir le temps de se poser, de découvrir l'île et ses habitants. Tous les niveaux de jeux sont petits et étroits, mais là où le port a une substance (ses marins, sa taverne, sa mafia locale, les chants et les histoires...) et l'hôpital un côté humain (des infirmières avec des prénoms, des caractères et des interactions), les autres niveaux sont autant de saynètes dans des décors vides ou de modules de gameplay aux PNJ-fonctions. C'est un peu comme suivre une partie de jeu de rôle sur table dont le MJ irait trop vite en besogne dans la présentation des situations et les transitions entre celles-ci. Certes, Lovecraft tend lui-même le bâton pour se faire battre puisque toute son œuvre ou presque repose sur des procédés narratifs réutilisés jusqu'à en devenir parfois du comique de répétition malgré lui : un héros qui parlera d'"une indicible horreur indescriptible que je ne saurais décrire tant les mots me manquent" et qui s'évanouit fort à propos pour éviter à l'auteur d'avoir à s'expliquer, par exemple. Il n'empêche qu'on aurait aimé que Call of Cthulhu prenne plus son temps, ou plutôt s'éparpille un peu moins, histoire de donner de l'enjeu à ses péripéties, et de la vie à ses niveaux.



C'est d'autant plus regrettable que, de l'ambition initiale de faire un RPG d'enquête narratif, il ne reste guère que la dimension narrative. La partie enquête est extrêmement légère. On ramasse certes des indices et des objets à droite ou à gauche pour essayer d'avancer dans l'investigation, mais presque tout se fait automatiquement, ce qui nous rend spectateur d'un enquêteur bien plus qu'enquêteur nous-mêmes. Typiquement : Pierce dispose d'un super-pouvoir de reconstitution de scènes de crime, qu'on active dans certaines pièces. Mais pas besoin de découvrir la connexion logique entre les indices ni de remettre les événements dans l'ordre : il s'agit simplement de cliquer sur les éléments activables, qui apparaissent au fur et à mesure, et Pierce fait sa déduction tout seul. Pour tout dire, il n'y a quasiment aucun puzzle ou énigme, le seul passage y faisant vaguement penser étant le niveau de la librairie où il faut retrouver la combinaison d'un coffre à partir de logs audio.



La partie RPG est un poil plus dense, mais reste finalement assez mineure. En fait, le jeu fonctionne avec des lancers de dés comme son grand-frère de papier : Pierce dispose de capacités qu'on fait évoluer grâce à des points d'expérience (ou en lisant des livres, pour la médecine et l'occultisme), et leurs valeurs déterminent les pourcentages de chance de réussir une action. Le principe rappelle pas mal The Council, développé par Big Bad Wolf (une filiale de Cyanide), dans lequel on débloque des options de dialogue en fonction de ses caractéristiques. Sauf que dans The Council, soit on a la compétence pour réaliser une action, soit pas. Ici, tout est est question de chance : crocheter une serrure, forcer une grille, convaincre un interlocuteur, analyser un cadavre, comprendre un artefact occulte... à chaque fois, le jeu jette un dé. Il n'y a évidemment pas suffisamment de points à distribuer pour maxer toutes les caractéristiques, mais il reste possible de se retrouver rapidement avec un taux de 50 ou 60% pour tout, diminuant fortement l'intérêt de se spécialiser. D'autant plus que les niveaux sont conçus pour toujours offrir une solution : si la ruse ne marche pas la force fonctionnera sûrement, si on échoue à crocheter une serrure il y a forcément un autre passage, etc. Notons cependant que le jeu est construit en entonnoir : les premiers niveaux offrent systématiquement deux ou trois solutions, puis tout se ressert. Les espaces se rétrécissent, et la variété aussi, pour finir par n'être plus qu'un rail. 

Il manque un tentacule dans un coin

Reste alors deux choses : la narration, sur laquelle on va devoir revenir un peu plus en détail ensuite, et les différents modules de gameplay. Call of Cthulhu est un jeu narratif qui ne s'assume pas vraiment, et plutôt que de miser tout sur son ambiance et son histoire, il multiplie les petits passages, profitant souvent des hallucinations du héros pour justifier ça. Ici il faudra parcourir les couloirs d'un asile en évitant les gardes, afin de créer une diversion pour s'échapper. Là on jouera à cache-cache avec un monstre dans une séquence qui rappelle Alien Isolation (en moins bien). Ailleurs on évolue dans le noir en utilisant des lampes à huile pour se frayer un chemin. Il y a même une séquence de shoot. Rares sont les passages qui fonctionnent, jamais à cause du même problème. Au choix : les gardes sont teubés, le puzzle design est imbitable, les sensations sont molles... Le pire restant sans doute les séquences à recommencer en boucle jusqu'à trouver la bonne solution parce qu'on ne peut pas la déduire des infos données par le jeu, avec une pensée toute particulière pour les vitrines à péter jusqu'à trouver la bonne dague... soit possiblement une dizaine de game over avant de boucler la séquence. On est désolé de ressortir à nouveau l'analogie, mais imaginez un instant un MJ qui vous dirait "Le monstre est sur vos talons mais ne vous a pas encore repéré. Devant vous se trouve deux salles avec chacune six vitrines, dans chaque vitrine une dague. Si vous cassez une vitrine le monstre vous repérera. Quelle vitrine choisissez-vous ?"



Quant à la narration... Le problème ne réside pas dans les dialogues, plutôt bons (et soutenus par un doublage d'assez bonne qualité). Call of Cthulhu souffre en fait d'un double problème issu de son matériau de base : les œuvres de Lovecraft sont rarement assez denses pour supporter un récit de plusieurs heures (ici, comptez environ 8 heures), et d'autre part on parle d'un univers libre de droit et pris d'assaut par des centaines de créateurs qui ont transformés les codes lovecraftiens en clichés. Pour résoudre le premier problème, on l'a déjà dit, le jeu allonge la sauce en empilant les saynètes, souvent en s'inspirant de nouvelles (ou de scénario de jeu de rôle, la séquence chez le collectionneur d'art m'ayant par exemple rappelé une partie). Mais il peine à les connecter logiquement entre elles ce qui rend la trame franchement bordélique, multipliant les personnages, les points de vue, les plot twists, etc. Plus globalement, l'île de Darkwater perd en consistance au fur et à mesure, puisqu'on n'est quasiment jamais en extérieur et qu'on ne voit pas les voyages entre les bâtiments. Et pour le second problème... il n'est pas résolu. Le jeu est affreusement prévisible, parce qu'il coche quasiment toutes les cases qu'on s'attend à voir cochées. Du mort pas vraiment mort au méchant en fait pas si méchant que ça, de l'hallucination qui n'en était pas une à la trahison d'un allié qui succombe à l'appel, on anticipe tout ou presque dès la deuxième heure de jeu. Et on passera pudiquement sous silence les maladresses qui achèvent toute forme de suspense, comme les écrans de chargement qui spoile les débuts de chapitres ou les sous-titres qui annoncent à l'avance les noms des personnages. Il en résulte pourtant un étonnant paradoxe : malgré tout ça, le jeu n'est pas du tout accueillant pour les novices de l'univers. L'inventaire se gonfle certes de tout un tas de citations et de textes pour développer le background des personnages croisés, mais si vous n'avez jamais mis un orteil chez les Grands Anciens, vous allez probablement lâcher rapidement l'affaire. 



La barque n'étant pas encore suffisamment chargée, rajoutons que Call of Cthulhu souffre d'un défaut absolument insupportable pour un jeu aussi narratif : il manque cruellement de lisibilité sur les choix laissés au joueur et leurs conséquences. Comme souvent dans le genre, il y a des dilemmes moraux. Certains sont assez évidents : tuer ou épargner, mentir ou être sincère, ce genre de chose. Mais parfois, après un dialogue qui semblait anodin, le jeu nous informe que "ça affectera votre destin". Reste à savoir comment : lors de la confrontation finale, je n'avais qu'une seule option disponible, parce qu'un PNJ était mort. Comment aurais-je pu le sauver ? A quel moment ai-je merdé ? Mystère. Autre exemple : vers la fin du jeu, lors de certains dialogues, des options en R'lyehian sont apparues. Pourquoi ? Est-ce lié à ma santé mentale qui a décliné fortement (ça expliquerait à quoi sert la jauge de santé mentale, parce que je ne lui ait pas trouvé d'autre utilité) ? Ou fallait-il que je fasse quelque chose de particulier pour avoir la capacité de les lire ? Lors d'une rencontre ultra-importante, j'ai même eu mes six options de dialogues en R'lyehian. Autant vous dire que je n'ai absolument aucune idée de la réponse que j'ai donné.  Si on ajoute les jets de dés pour tout et rien et le puzzle design rarement limpide, on obtient une bonne grosse dose d'incompréhension et de frustration. Et n'espérez pas revenir en arrière : le jeu fonctionne avec une sauvegarde unique automatique. A chaque action tant soit peu importante, un checkpoint se crée, sans aucun espoir de retour. Un choix dont on comprend parfaitement la philosophie, mais qui aurait gagné à se trouver dans un jeu moins bordélique.
On ne peut pas retirer à Call of Cthulhu son envie de respecter son matériau de base, ni son esthétique et ses fulgurances d'ambiance et d'angoisse. Mais la promesse originelle d'un RPG d'enquête narratif est tout sauf tenue. Le joueur est spectateur d'une enquête qui ne lui demande aucune réflexion. Le volet RPG reste assez léger et n'encourage pas à la spécialisation. La narration voit s'enchaîner maladroitement des séquences clichées bardées de références. Et le tout est saupoudré de différents modules de gameplay bancals.

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