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Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
INTERVIEW

Jon & Graeme McKellan, space cowboys

billou95 par billou95,  email  @billou_95
L'un est expert en interfaces utilisateur et a notamment bossé sur la station Sébastopol du dernier triple-A Alien, l'autre est designer de stations spatiales : on a pu discuter avec Jon et Graeme McKellan, les deux frangins aux origines du studio No Code avec leur ami Omar Khan. Après avoir passé une heure dans la peau d'une intelligence artificielle sur leur toute nouvelle création à venir fin mai, j'essaye de découvrir la recette miracle du bon jeu narratif tout en décryptant l'accent écossais dans une petite interview d'une demi-heure avec les deux papas d'Observation.
Vous avez déjà mentionné le fait qu'Observation est un projet intimement lié à No Code. Aviez-vous une sensation d'inachevé en ce qui concerne la relation avec la station après Alien Isolation ?
Jon : Pas tant la station que les interfaces. Je pense que quand j'ai travaillé sur l'UI au côté très VHS d'Alien Isolation, j'avais une tonne d'idées qui fusaient et un grand nombre d'entre-elles n'auraient simplement pas collé au jeu. Plus je m'intéressais à cette esthétique et plus je découvrais que l'on pouvait aller encore plus loin dans la manière d'interagir avec le monde dans un jeu vidéo. Lorsque j'ai quitté Creative Assembly, j'ai tout d'abord pris quelques mois de repos et c'est pendant cette période qu'a germé le concept d'Observation. J'ai ensuite passé quelque chose comme cinq mois chez Rockstar Games, mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser à ce projet. Et donc j'ai fini par tout plaquer et monter No Code. Je ne savais alors pas quand ni comment j'allais créer ce jeu, mais on a pris notre temps et avons finalement réalisé quelques titres (rires) avant de pouvoir nous mettre à bosser sérieusement dessus.

Du coup, Stories Untold était en quelque sorte un moyen pour vous de prototyper des mécaniques de jeu ?
Jon : Oui, on peut dire ça ! Stories Untold est un jeu narratif par essence. C'était notamment une grande opportunité pour nous d'apprendre comment raconter des histoires. D'ailleurs, bien qu'elles aient évidemment muri, on retrouve beaucoup de ces techniques narratives dans Observation.

Et comment on monte une équipe autour de cette idée précise ? Racontez-nous les origines du studio ?
Jon : Vous savez, après 10 ans passés dans l'industrie à bosser sur des AAA, au bout d'un moment on se sent l'envie de raconter ses propres histoires. Mais avec No Code, on a commencé comme un tout petit studio Omar et moi à faire des jeux mobiles. Ils ont plutôt bien marché pendant un temps, mais on a jamais eu l'intention de se focaliser sur ce segment, c'était juste l'occasion pour nous d'itérer rapidement quelque chose. Graeme gravitait autour de ces différents projets et de Stories Untold évidemment, mais nous avons commencé à recruter massivement pour la production d'Observation qu'à partir du moment où nous avons eu le soutien financier de Devolver et Sony. Ce qui est bien, c'est que nous avons pu assembler une équipe autour d'un game design au lieu d'acquérir des talents et de se poser les questions ensuite. Les gens que l'on recevait en entretien connaissait notre précédent jeu et savait dans quoi ils allaient s'embarquer.

Comment se lance-t-on dans le design d'une station spatiale ? Quelles sont les erreurs à éviter ?
Jon : Notre principale inspiration a été la Station Spatiale Internationale. Notre jeu se passe dans un futur proche et l'agencement de notre station est essentiellement extrapolé depuis la composition de l'ISS. On s'est notamment inspirés des différents modules de la station terrienne et vous vous en rendrez compte lorsque vous arpenterez le reste d'Observation. On a passé pas mal de temps en pré-production à se creuser la tête autour de ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de cette boite de conserve. Quels systèmes doivent l'équiper ? Comment fonctionnement les systèmes de survie de l'équipage et la redistribution de l'eau ? Ce genre de questionnements.



En terme d'enjeux, on ne voulait pas faire un simulateur de station spatiale et donc on devait trouver le bon équilibre entre rendre notre jeu aussi réaliste que possible et ne pas embêter les joueurs avec la gestion de détails qui ne sont pas nécessairement importants pour l'histoire. Du point de vue du design, tout est question d'équilibre entre ces deux facteurs. Il y a évidemment du jargon technologique dans le jeu et l'exploration de véritables problèmes de science auxquels les gens à bord des stations pourraient être confrontés un jour ou l'autre mais notre priorité reste de rentre l'histoire aussi accessible que possible.

Graeme : Du point de vue artistique, cela a aussi été un challenge. Les stations sont par nature modulaires, on ne parle pas de verticalité, de plafond ou de sol, on va juste là où on doit aller et cela peut créer un potentiel de désorientation, ce qui n'est paradoxalement pas une mauvaise expérience. Une des choses que nous avons faite retrouver un peu de sens est que nous avons pris soin de créer une station en anneau pour conserver cette impression de plan horizontal avec toutefois 3 bras à certains endroits qui permettent au joueur d'avoir un semblant de verticalité. Mais nous sommes persuadés que cette légère désorientation fait partie intégrante du design. SAM n'a jamais appris à se mouvoir dans une station, il est juste sensé être l'intelligence artificielle qui ne connait pas cette notion d'espace, mais après quelques temps on navigue plus aisément entre les caméras, on prend ses repères notamment à l'aide des drones en 6DOF, on se sent en contrôle de l'environnement qui nous entoure.

Le travail sur les interfaces du jeu est l'une des forces de votre nouveau jeu. Là encore, quelles sont vos astuces pour faire des interfaces utilisateur crédibles et agréables à manipuler ?
Jon : Oui c'est marrant, j'ai passé toute ma carrière avant No Code à bosser sur l'UI, l'expérience utilisateur et aujourd'hui je me surprends à casser une à une toutes ces règles apprises au fil des ans et que je devrais normalement suivre à la lettre. Je pense que nos interfaces doivent autant raconter ou provoquer une histoire que servir de puzzle. Elles sont toutes exagérément remplies de jargon informatique mais ces systèmes ne sont pas tactiles, SAM ne contrôle pas de boutons sur lesquels il peut physiquement appuyer mais il doit tout de même ressentir ce retour, ce besoin de conséquence lorsqu'on triture des interfaces informatisées.

Je pense que cela a été ma ligne directrice lorsque j'ai dessiné tous ces schémas et que j'ai commencé à animer ces interfaces, les créer avec cette relation de cause à effet dans un coin de ma tête, comme par exemple le réacteur à fusion que l'on croise dans la démo. Il contient énormément de jauges, de niveaux, de possibles manières d'interagir avec ce tableau et c'est en manipulant un peu au hasard qu'on se rend compte de l'impact que cela a sur le cœur du réacteur, et cela procure d'autant plus de satisfaction d'y être arrivé par soi-même.

Développer un jeu en zero-g, cela a dû être compliqué, ne serait-ce qu'en termes de réalisme d'animations. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vaincu cette problématique ?
Graeme : C'est un cauchemar absolu ! (rires) Oui c'est un challenge vraiment intéressant. Nous avons massivement utilisé la motion-capture dans le jeu. Notre chef animateur Chris a enfilé un costume d'astronaute à de nombreuses reprises pour les besoins de la production. Nous avons essayé de simuler la zéro-g mais c'est extrêmement difficile. Vous pouvez regarder partout autour de vous dans les jeux vidéo qui s'y sont essayés à la troisième personne, on s'y est tous cassés les dents. Par chance il y a énormément de vidéos tournées dans l'ISS qui ont pu nous servir de référence.

Nous avons passé des heures à regarder ces enregistrements pour comprendre comment les astronautes se déplacent et effectuent des gestes simples dans un environnement sans gravité : comment ils ouvrent des portes par exemple, et nous nous sommes rendus compte que la majorité du temps ils s'élancent en ligne droite à la Superman. Nous avons donc assisté à des scènes cocasses au bureau en regardant Chris s'allonger sur une table et gesticuler pour mimer ces mouvements (rires). Sur le moment on se sent vraiment stupide mais quand on voit le résultat en jeu avec des objets qui flottent autour de vous on se dit que ça rend finalement très bien.



Le fait de devoir jouer l'IA a une incidence originale car c'est désormais le personnage d'Emma Fisher que vous devez faire réagir comme une IA sentiente. A la différence d'un HAL de 2001, elle doit se comporter et réagir comme une humaine.
Jon : Exact ! Oui c'est un autre challenge cette fois-ci en termes de perspective. Nous avons construit un système de réactions simples d'Emma par rapport à vos interactions ou simplement aux possibles conversations avec elle. Ce n'est volontairement pas très complexe, l'IA dans le jeu doit rester très basique et pilotée par le script, tout doit être question d'action-réactions binaires. Par contre, là où l'on ne doit pas se planter, c'est au niveau du jeu d'acteur qui doit parfaitement retranscrire le comportement que devrait avoir le docteur Fisher face à telle ou telle situation. Et à ce sujet, la performance vocale de Kezia Burrows (NDLR: l'actrice qui joue Emma Fisher dans Observation et Amanda Ripley dans Alien Isolation) est incroyable. Franchement dès qu'on a reçu et écouté les premières bandes, on s'est dit qu'on avait enfin rencontré Emma ! On a vraiment l'impression que le personnage pense par lui-même, cela va bien au-delà du petit truc qui renforce l'immersion.

Passer de la narration en ligne droite de Stories Untold a quelque chose de plus organique avec Observation, comment vous assurez-vous que le joueur soit impliqué sur la durée dans un jeu vidéo aux systèmes complexe ?
Jon : Le truc le plus important c'est la progression continuelle de l'histoire. On doit faire en sorte que le joueur se sente toujours impliqué en créant un impact sur le scénario à chacune de ses actions. On use et abuse aussi du teasing pour créer des moments d'attente. On offre aussi toujours une récompense à chaque interface, puzzle ou problème résolu par le joueur, ce qui renforce son lien avec l'environnement.

Idem avec la station qui est remplie de choses à découvrir et on octroie au joueur des moments de calme pendant lequel il peut se balader librement à l'aide des sphères pour fouiller ce huit-clos et en apprendre plus sur ce qui l'entoure. La relation changeante entre SAM et Emma est aussi là pour dynamiser l'histoire. On passe d'une astronaute directrice dans la première partie à un personnage plus fragile et dépendant de SAM à partir de l'acte 2, toujours dans l'optique d'amener plus de fraicheur dans le scénario. Pour résumer, on aimerait bien que vous preniez Observation comme ce roman passionnant que vous n'avez pas envie de refermer avant d'avoir lu la dernière page.

Avez-vous considéré la possibilité de découper le jeu en chapitres comme votre précédente production ?
Jon : C'était originalement l'idée. Au début nous voulions faire un jeu épisodique, à la Telltale. Mais après 6 mois de développement, nous nous sommes rendu compte que nous aurions dû couper arbitrairement et injustement entre des sections de l'histoire plus ou moins longues et créer un climax à chaque fin d'épisode nous aurait obligé à repenser le scénario pour se plier à un format et pas l'inverse. Nous n'aurions pas été en contrôles de la tension que nous voulions insuffler au jeu. En fait, il y a des fois ou cela marche bien, quand le découpage en épisode permet de structurer votre scénario, mais dans notre cas nous savions déjà où nous voulions aller avec Observation. Nous en avons discuté sérieusement avec Devolver... et ils nous ont simplement répondu "faites comme vous voulez" (rires).

Même si sa réalisation aurait été contraignante, Observation est un jeu qui aurait pu être réalisé en FMV. Que pensez-vous de la résurgence d'un genre prisé par plusieurs studios britanniques ?
Jon : On a évoqué la possibilité de le faire il y a quelques années avant que la production ne commence, mais cela aurait demandé un budget faramineux et on serait allé au-devant de nombreux problèmes, notamment à cause de l'absence de gravité à retranscrire. Un des gros bénéfices d'avoir choisi la mocap plutôt que de vrais acteurs filmés c'est que Kez qui joue Emma est une bonne amie. On a pu la rappeler à de nombreuses reprises pour shooter à nouveau rapidement telle ou telle scène dans notre studio, sans avoir à rappeler une tonne de techniciens et costumiers pour remonter un décor complet autour d'elle. On avait juste à la contacter et 10 minutes plus tard, elle était prête à tourner. Ce choix de technologie permet aussi de nous affranchir des contraintes d'un script préétabli, on a la liberté de revenir sur ce qu'on a écrit plus aisément sans avoir à penser au coût d'un nouveau tournage.
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