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Un Rédacteur Factornews vous demande :

TEST

Papers, Please

kimo par kimo,  email
 
En cette période estivale, peut-être n'avez-vous pas réussi à partir à Hawaï à cause d'une vieille photo et d'un douanier un peu trop scrupuleux. Dommage ! Mais pendant que vos amis s'éclatent sans vous, vous pourrez toujours passer votre mois d'août à vous venger en jouant à Papers, Please.

Red is Dead


Pour ceux qui n’en ont pas encore entendu parler, Papers, Please est un simulateur de douanier de pays de l’Est fictif en pleine guerre froide. Le jeu le plus connu de son créateur (Lucas pope) est sans aucun doute Helsing’s Fire, sympathique puzzle-game sorti sur iOS. Mais c’est dans deux jeux réalisés pour la session du Ludum Dare 23 qu’on peut trouver les fondations de Papers, Please. La recette repose sur un mélange habile de paranoïa, de propagande et de pastiche des dictatures communistes d’antan.

The Republia Times proposait ainsi d’incarner le rédacteur en chef d’un journal « officiel », et de collaborer - ou non - avec le régime en place, quitte à mettre sa famille en danger. Pris en otage entre la nécessité de survivre et celle de retourner sa veste au bon moment, le joueur se trouvait ainsi piégé dans un hilarant renversement sans fin entre rebelles et gouvernement.

Papers, Please ne déroge pas à cet humour absurde et acide. La grande république d’Arstotzka, son vocabulaire et son iconographie communiste, ses règles administratives kafkaïennes et son flot de migrants loufoques réservent quelques franches rigolades. Mais attendez-vous aussi à rire jaune : la plaisanterie est ici souvent la doublure d’une situation bien glauque. À l’image d’un jeu tout aussi amusant que franchement glaçant.

Le laisser-passer A-38


Bonne nouvelle camarade, la loterie nationale a tiré votre nom, vous êtes le nouveau douanier de la Grande République d’Arstotzka dont les frontières viennent d’ouvrir. Votre but au fil du jeu se résume donc uniquement à faire venir les candidats à votre baraque et valider d’un coup de tampon leur entrée ou non dans votre petit paradis communiste.

Chaque bonne décision vous rapporte un peu d’argent tandis que les mauvaises peuvent finir par vous coûter cher. Les journées durent quelques minutes et peuvent être parfois interrompue par un terroriste facétieux. Un écran vous montre ensuite votre résultat journalier : une partie du salaire part dans le loyer, la nourriture et le chauffage, vous laissant le plus souvent très peu d’économie pour changer d’appartement ou acheter de rares upgrades(le plus souvent des raccourcis vous simplifiant la vie). La façon la plus sure de faire de l’argent, c’est donc d’aller vite : faire du chiffre, mais sans se tromper, dans une course contre la montre aussi impitoyable que cynique.

Pour accomplir votre prestigieuse mission, il faut d’abord inspecter les papiers bien sûr. Date d’expiration, préfecture d’obtention et tickets d’admissions que certains n’hésiterons pas à oublier, voir pire: à falsifier. En cas d’anomalie, à vous de pointer les contradictions pour interroger la personne et éventuellement la placer en détention. Toutes ces actions s'effectuent sur l’écran de jeu, divisé en trois parties: la file d'attente, la vue du kiosque où les candidats apparaissent et enfin le comptoir où on peut déplacer et examiner les papiers et consulter le guide du parfait douanier. C’est là que les choses se corsent : au fur et à mesure que la situation internationale évolue, les conditions d’accès sont de plus en plus strictes. Bientôt, un amas d’autorisation encombre le comptoir, nécessitant des vérifications minutieuses et de plus en plus laborieuses. Réussir à s'organiser de façon à pouvoir lire les papiers et naviguer correctement dans le guide des règles devient une véritable plaie capable de vous faire perdre de précieuses secondes.

Je fais que mon boulot moi ma petite dame !


Très vite pourtant, un certain professionnalisme se met en place, on s’améliore et on repère les pièges, on apprend à s’organiser pour vérifier les données et on finit même par reconnaître certains habitués en préparant tranquillement son tampon rouge. De la vérification des empreintes digitales au déshabillage photographique, la masse anonyme et grouillante de corps et de visages qui défilent ne doit plus être dévisagée, mais cataloguée. Le pixel-art rempli ici admirablement sa fonction : rien de mieux pour figurer ce défilé de tronches maussades et interchangeables.

Le split-screen formalise aussi très bien ce lugubre anonymat. Chaque personnage est d’abord une petite silhouette de l'interminable file d’attente toujours trop lente. Il est ensuite immédiatement assimilé à des données - poids, taille, raison et durée du séjour - qui doivent correspondre aux papiers fournis. Les yeux du joueur sont plus souvent rivés sur son comptoir que sur les gens qu’il contrôle. Assommé par la masse d’informations à traiter, mieux vaut faire abstraction des cas particuliers et s’en tenir aux règles. Les descriptions physiques aussi floues qu’arbitraires ne servent bientôt plus à identifier mais à discriminer et à soupçonner. Une simple faute de frappe devient cause de refus voire d'arrestation : tout plutôt que de perdre du temps à écouter une explication.

Le douanier est un loup pour l’homme


Ce que le gameplaynous ordonne de faire via la figure dictatoriale des règles administratives est ramené ici aux règles du jeu. C’est d’ailleurs la principale raison qui nous pousse à y obéir, peu importe le degré d’absurdité qu’elles atteignent. La situation de notre famille relève ainsi plus du tableau de score que d'une réelle motivation narrative ou affective (une liste sans nom, indiquant simplement un lien de parenté et une condition physique). Pourtant, en tant que joueur, on ne peut s’empêcher - du moins pour un temps - de ne pas vouloir perdre et donc d’obéir, peu importe leurs conséquences.

À ce niveau là, Papers, Please est plus qu’un bête simulateur satyrique, mais bien une véritable fiction politique, avec de multiples embranchements et une vingtaine de fins. La situation géopolitique de la région est compliquée et génère de l’immigration, du terrorisme et de la contrebande. Le poste de douane est l’endroit parfait pour voir défiler toute la misère humaine qui accompagne ces troubles et le jeu aime à vous le rappeler en vous laissant faire de nombreux choix : expulser des criminels, laisser passer de la contrebande, aider une famille à se réunir, participer à un coup d’état ou incarcérer des innocents. Vous pouvez faire des entorses à votre devoir civique par sympathie pour les personnes en face ou pour votre simple profit personnel. Après tout, les temps sont durs pour tout le monde.

Un petit pouvoir implique de grandes responsabilités


La force du jeu est alors de ne jamais se départir de son minimalisme narratif et formel sans pour autant rendre vos choix inconséquents : vous aurez généralement vent des résultats de vos actions dans les journaux ou les remarques des migrants, quelquefois plus directement via la visite de personnages haut en couleurs ou la mise en œuvre de nouvelles mesures. Vous n’êtes qu’un acteur mineur pourtant en première ligne des conséquences de vos décisions. Qui croire, qui laisser passer quand vos choix peuvent par la suite s’avérer désastreux ? Jusqu’où s’impliquer sachant qu’un manque de prudence peut conduire au game over. Le joueur est mis sous pression non seulement par le gameplaymais aussi par la narration. Pour trouver l’équilibre, il dispose heureusement d’une réelle marge de manœuvre : chaque jour il a le droit à deux erreurs, volontaires ou non, avant de payer des pénalités. Il faut donc aussi jouer le jeu afin de garder ces deux chances pour la bonnes (ou mauvaises) causes. À un niveau plus global, le système de sauvegarde arborescent vous permet également d'expérimenter pour découvrir de nouvelles fins sans avoir à tout recommencer.

On passera ici sur les enjeux politiques évidents abordés par le jeu : stratégie de la peur, paranoïa sécuritaire et collaboration par déresponsabilisation de l’individu. Pour cela, on vous envoie ailleurs. Ce n’est pas tant les éventuelles interprétations qu’on pourra en donner qui nous font aimer Papers, Please - en dehors de sa fiction, le jeu n’a rien à dire à proprement parler - mais sa capacité à se taire pour faire de son gameplayle lieu de construction d’une critique. Parce qu’un bon jeu vaut parfois mieux qu’un long discours, Papers, Please ne s’arrête pas à un sympathique dispositif réflexif, mais intègre le joueur d’une façon bien plus perverse dans une lutte symbolique qui oppose à la nécessité de collaborer pour survivre (éviter le game over) le sens éthique de chacun.

Testé à partir d'une version commerciale fournie par l'éditeur.
Config. de test : Windows 7 64Bits/I5-2500K 3.30 Gh /4Go/ NVIDIA GeForce GTX 560 Ti
Austère autant que drôle, répétitif autant que jouissif, précis et intelligent sans être ni didactique ni assommant, Papers, Please est une franche réussite. Il ne vous occupera pas toute une vie mais vous fera vivre une sacrée expérience. Glory to Arstotzka !
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